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Saint Paul2


 

 

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Deuxième partie :

 

 

 

 

             Toute sa vie Paul a montré une action  passionnée, d’abord dans la persécution des « chrétiens », au nom de la Loi ( Torah) juive, puis comme fondateur d’Eglises et théologien. De son vivant sa pensée novatrice fut minoritaire parmi les  premiers chrétiens . La majorité c’était alors la tendance judéo-chrétienne, celle de Pierre, de Jacques surtout. Le persécuteur deviendra  persécuté, Paul meurt martyr à Rome dans une sorte d’indifférence  des  autres chrétiens. C’est donc sa pensée, sa théologie originale qui a posé problème.

Ses idées nouvelles lui viennent de cette illumination  reçue sur le chemin de Damas ; d’un coup tout chavira et il comprit ; il s’agit non pas d’une conversion mais d’un véritable retournement. Vous connaissez les expressions courantes employées parfois après un événement choc : «  j’en suis tout(e) retourné(e)…….qui l’aurait cru !…moi qui croyais que… ! Sur ce chemin de Damas, tout ce à quoi Paul croyait s’écroule, c’est ce qu’il affirme lui-même dans sa lettre aux Philippiens III,7-8 : « Or toutes ces choses qui étaient pour moi des gains, je les ai considérées comme une perte à cause du Christ. …à cause de lui, j’ai tout perdu et je considère tout cela comme ordures.. ».

             Qu’a compris Paul suite à la question du Christ : « Pourquoi me persécutes tu ? ». C’est cette compréhension nouvelle du rapport à Dieu, sa théologie, que nous nous proposons d’évoquer, dans ses grandes lignes, dans son originalité.

 

 

 

I-                   LES CONDITIONS DE LA PENSEE DE PAUL

 

1-      les conditions de la connaissance

 

a-     les sources . Nous disposons de quatre groupes de documents écrits, de natures et d’époques différentes  pour tenter d’accéder à la pensée de Paul. (Actes des Apôtres, lettres de Paul, lettres pseudépigraphes, Actes de Paul).

Les Actes des Apôtres, rédigés par l’évangéliste Luc, vers 85, reconstituent les discours de Paul ( dans des synagogues comme à Antioche de Pisidie, à Athènes, à Jérusalem ( discours en araméen), à Césarée..
Les Lettres écrites par Paul lui-même. Combien en a t-il écrites pendant son ministère ? nous l’ignorons. C’étaient la plupart du temps des réponses rédigées en grec sur du papyrus de qualité médiocre (ces communautés n’étaient pas riches). Ce n’est que vers la fin du premier siècle que ses lettres furent réunies, donc bien après sa mort ; certains passages ont été remaniés, voire « cousus » entre eux dans un ordre nouveau : c’est le cas du fameux chapître 16 de la lettre aux Romains. Nous n’avons conservé que 7 grandes lettres de l’apôtre Paul : Romains, I et II Corinthiens, Galates, Philippiens, Thessaloniciens I et II, et un petit écrit à Philémon.
Les autres lettres ont été rédigées par des disciples après sa mort, mais il était fréquent dans l’antiquité de se placer sous le patronage d’un personnage connu ; ce sont donc des textes pseudépigraphiques ( de pseudo qui signifie faux). Les textes pseudépigraphiques pauliniens peuvent se répartir en deux catégories : Trois lettres pastorales ( épîtres) : I et II Timothée, Lettre à Tite. Ces lettres ont été rédigées en grec vers 100 par des communautés pauliniennes, à Ephèse ? ou à Rome ? on ne sait. Nous les appelons lettres pastorales car elles étaient destinées à donner des directives aux pasteurs d’Eglises pauliniennes travaillées par « de fausses doctrines ». Paul sert ainsi de garant à ces directives.  Deux lettres deutéropauliniennes : Lettre aux Ephésiens écrite vers 85-90 dont le thème est l’organisation de l’Eglise, et la lettre aux Colossiens rédigées vers 70 par un chrétien qui prend le nom de Paul pour être crédible ( Paul n’est jamais allé à Colosses selon nos sources) L’auteur écrit aux chrétiens de cette ville pour les mettre en garde contre les fausses doctrines syncrétiques locales ( exemple, l’association du Christ à des croyances cosmiques).
Un écrit apocryphe ,les Actes de Paul, rédigé vers 150 . C’est une relecture des Actes des Apôtres de Luc, un texte fait pour combler les silences sur la vie de Paul, notamment sur la fin de sa vie. L’intérêt majeur de ce texte tardif est de nous montrer l’évolution de la réception de Paul parmi les chrétiens : alors que ceux de son temps soit l’ignorent ou le persécutent, ceux de cette époque le portent aux nues, il est devenu un saint!  ce texte sera utilisé dans l’art ( comme la plupart des textes apocryphes d’ailleurs, car ils racontent davantage et sont donc utilisables par les artistes) comme dans l’église de Saint-Paul-de-Varax. Ce texte apocryphe, à son tour jouera un grand rôle dans la réception des Actes de Luc, lus à la lumière de. ...

 

b-     pourquoi Paul a t-il écrit si tardivement ? Le premier texte de Paul, le plus ancien texte du Nouveau Testament donc, est l’épître aux Thessaloniciens , rédigé vers 50. A cette date, il a plus de 10 ans de mission derrière lui. Pour quoi alors cette date ? une hypothèse consiste à situer ses écrits après le « concile de Jérusalem » placé ici vers 49. Lors de cette réunion des grands leaders apostoliques à Jérusalem, il y aurait eu une reconnaissance d’un partage missionnaire, à Pierre  (parti dès 44) la mission auprès des Juifs, à Paul, la mission en direction des païens. Jacques, le frère du Seigneur aurait tranché le problème posé par les pagano-chrétiens : que faire d’eux ? les obliger à devenir juifs ? non, seulement leur demander de respecter quatre prescriptions de la Loi ( ne pas consommer de sang ou de viande non saignée, ne pas consommer de viandes sacrifiées aux idoles, ne pas s’associer aux cultes des idoles, pas d’unions illicites).

Ces interdits s’imposèrent progressivement aux Eglises judéo-chrétiennes dans la seconde partie du premier siècle, mais, Paul et les siens refusèrent cela. Nous sommes là au cœur de sa théologie, aussi, Paul écrit-il à partir de cette période afin de faire connaître Son évangile, le vrai, celui qui ne lui vient pas des hommes dit-il mais directement du Christ-Jésus. On comprend dès lors le conflit qui va l’opposer aux judéo-chrétiens     ( appelés Juifs dans ses écrits) : cf. Gal I,6.

 

c-     les textes les plus importants pour connaître sa pensée sont  Lettre aux Romains et lettre aux Galates.

La lettre aux Galates qui remonte au début des années 50 est l’une des plus ancienne de Paul. Ce pays galate ( peuple celtique, apparenté à nos gaulois), au centre de la Turquie actuelle, a été évangélisé par Paul lors de son premier voyage, les fidèles sont ici ses enfants spirituels. L’objet de la lettre est de les rappeler à l’ordre. Ces Galates oublient son enseignement, suivent les derniers venus, en l’occurrence des judéo-chrétiens qui les poussent à judaïser, c’est-à-dire à suivre les prescriptions juives pour vivre en chrétiens. Ces Galates doivent revenir à l’Evangile présenté par Paul et non suivre une autre voie. C’est donc l’occasion d’un rappel de ses conceptions.
La lettre aux Romains, de 58, est une sorte de catéchisme paulinien où il expose sa théologie de la justice de Dieu, théologie sur laquelle bien sûr nous reviendrons.

 

2-      une pensée dans un cadre juif

 

a-     les maîtres à penser de Paul : Gamaliel, Philon d’Alexandrie

Selon les Actes des Apôtres, Paul aurait suivi à Jérusalem l’enseignement du grand maître pharisien, Gamaliel, petit-fils du célèbre Hillel. Gamaliel , strict défenseur de la pensée pharisienne est cité dans le Talmud, en particulier dans la Mishna, dans les Actes de Luc (V,34) où il tient un discours de sagesse devant le Sanhédrin à Jérusalem. Ce maître à penser est présenté comme bon vivant ( ce qui n’apparaît pas évident chez Paul !alors que cela semble avoir été le cas d’un autre pharisien célèbre : Jésus lui-même), d’une grande ouverture d’esprit – il étend aux païens, pauvres et malades, le bénéfice des services sociaux réservés aux Juifs-, et surtout, comme libéral par sa conception juive de l’histoire : Dieu est le seul maître de l’histoire des hommes. Cette conception a t-elle eut une influence sur la mission de Paul envers les païens ?
Philon d’Alexandrie , contemporain de Paul, était un grand penseur juif dans une Egypte hellénisée. Certes, Paul ne le rencontra pas, mais son influence marqua l’apôtre. Nous avons conservé les écrits de Philon, ce qui nous permet d’évaluer les liens avec la pensée de Paul.

-         Philon d’Alexandrie chercha une synthèse du judaïsme et de l’hellénisme, alors que Paul, selon ses dires, veut être juif avec les Juifs et grec avec les Grecs. Il diffusa un enseignement juif auprès des Grecs.

-         Tous les deux utilisent la Bible en grec, la Septante, et ont une interprétation allégorique du texte : Agar dans Galates IV, 25 est identifiée à l’Ancienne Alliance, à la Jérusalem terrestre.

-         Philon et Paul, sont tous deux oubliés des autres juifs ; Philon plus tard influencera les Pères de l’Eglise, il leur servira de source de connaissance du judaïsme.

-         Mais une grande différence sépare les deux hommes, et cela est important pour notre étude : alors que Philon attendait le messie sous forme d’un héros puissant, Paul, lui, après le retournement de Damas, reconnaît le Messie ( Christ) dans le Jésus mort sur la croix et ressuscité.

Sans rien enlever à l’originalité de sa pensée, Paul reflète  - en accord ou en désaccord-, des pensées juives de son temps. A t-il suivi également un enseignement philosophique dans l’une des écoles grecques de Tarse, sa ville natale ? nous l’ignorons.

 

b-     La démarche de Paul est juive, plus précisément, c’est l’attitude  intellectuelle d’un pharisien.

Il se comporte comme un rabbin qui répond par lettre à des questions posées ; comme les rabbins, il est plus soucieux de problèmes concrets de vie quotidienne que de grandes idées. Il répond à des questions de Halaka ( Loi religieuse juive et prescriptions rituelles). Le judaïsme se présente souvent comme une orthopraxis – c’est-à-dire une action rituelle juste.
Comme les autres maîtres juifs de son époque, il n’a pas une conception figée de l’interprétation des Ecritures, mais une approche vivante – le judaïsme d’avant 70 est extrêmement divers et créateur. Finalement, le « christianisme » de Paul peut  à cette époque être perçu comme une des formes possibles du judaïsme. Les pharisiens d’alors ne sont pas ceux d’après 70 décrits dans les évangiles !

 

c-      Par contre, si la démarche n’a en fait rien d’originale, les réponses de Paul aux questions posées, elles, le sont. Ce sont ses idées particulières qui vont contribuer à élaborer le christianisme.

Paul refuse un passage obligatoire par le judaïsme et ses interdits , pour les nouveaux convertis chrétiens d’origine païenne ; ces nouveaux frères peuvent manger de tout !
Mais, il ne s’agit pas d’avoir une attitude provocatrice à l’égard de ceux qui sont attachés aux rituels, il faut que le chrétien évite les scandales, évite d’égarer les faibles ( ceux qui ont absolument besoin d’interdits comme repères de vie). Ces réponses de rabbin à des problèmes de Halaka sont extrêmement novatrices et scandaleuses pour tout juif, elles se trouvent dans la première lettre aux Corinthiens.

 

 


I CO X, 23-33« Tout est permis, mais tout ne convient pas ; tout est permis mais tout n’édifie pas. Que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui. Tout ce qu’on vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience ; car la terre et tout ce qu’elle contient sont au Seigneur. Si un non-croyant vous invite et que vous acceptiez d’y aller, mangez de tout ce qui vous est offert, sans poser de question par motif de conscience. Mais si quelqu’un vous dit : « c’est de la viande sacrifiée », n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a averti et par motif de conscience : je parle ici non de votre conscience, mais de la sienne. Car pourquoi ma liberté serait jugée par une autre conscience ? Si je prends de la nourriture en rendant grâce, pourquoi serais-je blâmé pour ce dont je rends grâce ? Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. Ne soyez pour personne une occasion de chute, ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l’Eglise de Dieu. C’est ainsi que moi-même je m’efforce de plaire à tous en toutes choses, en ne cherchant pas mon avantage personnel mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés. ».

I CO VIII,9 « Mais prenez garde que cette liberté même, qui est la vôtre, ne devienne une occasion de chute pour les faibles »..


 

Paul, le juif, est donc fidèle à la démarche de la Halaka, à son esprit , mais pas à sa lettre : la Loi juive interdit absolument l’achat de viande non rituelle.

 

3-      l’héritier d’une première pensée chrétienne

 

a-       Ce qu’il en dit lui-même. Paul n’a pas rencontré le Jésus de l’histoire mais Jésus ressuscité. Ses connaissances, à la différence des autres apôtres ne lui viennent pas de la fréquentation quotidienne d’un maître, mais d’une révélation ( en fait les autres apôtres ne comprendront eux aussi que grâce à l’action révélatrice de l’Esprit saint). Voici deux passages où Paul affirme cela avec force.

 


 Ga I,11-12 : «car je vous le déclare, frères : cet évangile que je vous ai annoncé n’est pas d’inspiration humaine ; et d’ailleurs, ce n’est pas par un homme qu’il m’a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ ».

I CO XV,3-..11 : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même : Christ est mort pour nos péchés , selon les Ecritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures…..bref que ce soit moi, que ce soit eux ( les autres apôtres), voilà ce que nous proclamons.. ».


 

 

b-       Paul n’est pas parmi les tous premiers missionnaires, mais l’héritier du courant de Jérusalem : c’est Barnabas qui l’a introduit auprès de ces groupes dirigés par Pierre et Jacques le frère du Seigneur. Quelles traces de cet héritage peut-on lire chez Paul ?

le vocabulaire employé : à Jérusalem, l’usage du grec est moins répandu qu’ailleurs, Paul ici parle araméen, il a conservé ces expressions de Jérusalem telles que « Abba » - père ; « Képphas » -pierre ; « Marana tha » - Seigneur, viens !.
une certaine attente imminente de la colère de Dieu, de la Parousie.
l’importance pour Paul de la collecte effectuée pour les saints de Jérusalem.

Paul est donc en partie héritier de ce courant conservateur chrétien de Jérusalem, puis assez vite il s’en séparera ( séparation d’avec Barnabas, ses difficultés avec Jacques et ses envoyés.)

 

c-       Il est également héritier du courant hellénistique d’Antioche . La communauté mixte d’Antioche –chrétiens d’origine juive et d’origine païenne- , est l’une des premières communautés chrétiennes issues de la première mission, celles des Hellénistes persécutés après la mort d’Etienne.  C’est à Antioche que sera lancé pour la première fois le mot de chrétiens ( de Christos) par des adversaires, pour se moquer.

Paul après avoir commencé sa carrière par persécuter ces Hellénistes, les imite. Il adopte la même conviction , à savoir que Dieu a décidé que son règne allait entrer dans l’histoire des hommes, et qu’il faut le faire savoir à tous… D’où la démarche envers un public de langue grecque.
Paul en hérite un élément clef de la première profession de foi  en langue grecque: le Christ est mort sur la croix pour nous, pour nos péchés : d’où l’importance pour lui du discours sur la croix.
En fond commun d’héritage, Paul reçoit des notions clefs comme la résurrection, le rôle de l’Esprit saint…     sans plus approfondir, nous mesurons un peu la complexité et la richesse des héritages chrétiens dont bénéficie Paul. Il n’est donc pas le créateur du christianisme comme certains se sont plus à le dire, mais sur ces héritages il a bâti quelque chose d’original, en ce sens là seulement, il est créateur. La légitimité de ses constructions personnelles , c’est la « vision »  de Damas, l’action de l’Esprit en lui, le retournement.

 

Quels sont donc les  principaux apports de Paul à l’élaboration du christianisme ?

 

 

 

II     LE CŒUR DE LA PENSEE DE PAUL

 

1-      une nouvelle conception de Dieu

 

a-     A l’encontre des conceptions aussi bien juive que païenne ( gréco-romaine) , Paul transmet une révélation quant aux conditions du salut de l’homme par Dieu.

pour les Juifs, Dieu passe contrat avec les hommes : il les sauve à condition de respecter la Loi. C’est donc une conception d’un Dieu otage de la fidélité de l’homme à la Loi ; si celle-ci est scrupuleusement suivie, il est « obligé »de récompenser, par le salut ! Paul va rejeter cette conception ; le chrétien n’est pas sauvé par l’obéissance à un rituel ou a des interdits.
Pour les Grecs, Dieu est conçu comme tout puissant, mais admis dans les limites de la raison humaine, ainsi, Dieu n’étonne pas. Avec cette image rationnelle de Dieu, on sait ce dont il est capable de faire. Cette conception divine est également fausse aux yeux de Paul pour qui le chrétien sera sauvé malgré les résistances de la raison humaine face à l’inouï de la révélation.
 I CO I, 22-24 « Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens… »

 

b-     Il y a deux manières d’être devant Dieu : être selon la chair ou selon l’esprit . Les mots chair et esprit désignent chacun l’homme dans sa globalité, mais de deux manières différentes.

La chair c’est l’homme dans sa fragilité. Mettre l’accent sur la chair c’est être angoissé par la mort, c’est chercher à lutter contre cette angoisse par des protections illusoires ( accumuler des richesses, des mérites comme ceux espérés de l’obéissance à la Loi) pour s’assurer croît-on les faveurs divines. C’est chercher à être aimé pour ses mérites, ses qualités, ses avantages. Cette attitude résulte de la trace en nous du péché.
L’esprit, c’est l’homme qui vit débarrassé du péché, grâce à l’action de l’Esprit saint. Un tel homme est désangoissé, il vit. Paul ainsi affirme que chacun existe devant Dieu en dehors de ses mérites et qualités ; Dieu ne fait pas de discriminations.
Nous  rencontrons ici le discours de Paul à propos de la croix : Jésus meurt de façon misérable, comme un criminel ( un homme sans qualité), la Loi non seulement ne lui sert à rien mais elle le maudit. Dieu le ressuscite, Dieu le fait seigneur et Christ cet homme sans mérite selon la Loi. Quel est donc le Dieu de Paul ?

-         avant Damas, c’était le Dieu de la Loi, celui qui sépare, rejette ou adopte selon l’obéissance .

-          depuis le retournement, c’est un Dieu transgresseur de la Loi, qui inaugure une nouvelle ère, une nouvelle créature, un Dieu qui considère l’homme pour lui-même, sans contrat .

 

Ainsi donc, c’est la grâce de Dieu qui sauve, et elle seule. Cette grâce est donnée gratuitement, sans contre partie, elle n’est pas liée à une connaissance de Dieu par la raison, elle n’est pas conditionnée par l’obéissance à une Loi, même d’origine divine.

C’est Dieu qui prend l’initiative d’offrir sa grâce, c’est sa liberté, il n’est plus otage. La seule chose à faire pour l’homme c’est de l’accepter. L’acceptation de la grâce divine, c’est la foi : la confiance, vivre selon l’esprit.

 

c-     La colère de Paul  s’exprime envers les Galates qui oublient son message – ce qui nous permet de le connaître. Ga III,3 : «  Vous qui avez commencé par l’esprit, est-ce  la chair maintenant qui vous mène à la perfection ? ». La leçon de la croix ne sert à rien si l’on pense être sauvé ( justifié) par la Loi. Paul fustige des missionnaires chrétiens ( judéo-chrétiens envoyés par Jérusalem, gnostiques ?) venus en pays galate annoncer un autre évangile que le sien, un évangile qui oblige ces païens qu’étaient les Galates à passer par l’ensemble de la religion juive pour devenir chrétien.

 

 

2-      Dans ces conditions , à quoi sert la Loi ( Torah), à quoi sert Israël ?

 

a-     Qu’est-ce qui sauve ? la Loi ou la grâce ? telle est la question posée derrière les tensions entre Paul et les autres courants chrétiens. Les Juifs se distinguent des autres peuples par le fait d’avoir reçu une Loi, ils en sont fiers, cherchent à la respecter le plus fidèlement possible afin d’être sauvés dans le cadre de cette alliance. Paul depuis son « retournement » affirme que l’obéissance à cette Loi ne sauve pas, pour le démontrer, il développe l’exemple d’Abraham.

Ce personnage fondateur a été sauvé par Dieu – on dit également justifié, considéré comme juste- non pas pour obéissance à la Loi mais pour sa foi, sa confiance mise en Dieu. Gal. III,6 : « Puisque Abraham eut foi en Dieu et que cela lui fut compté comme justice » ; Paul ici reprend le célèbre passage du Livre de la Genèse –chapitre XV- où Dieu promet à  Abram une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel. Abram eut foi dit le texte, foi signifie certes confiance mais aussi la fidélité, la fermeté dans le plein accord avec la volonté de Dieu – ce qui est préférable à une traduction par le mot obéissance qui a une connotation passive. C’est donc Dieu qui sauve, qui accorde sa justice, par sa grâce.

Cette promesse faite à Abraham ne vaut-elle que pour le seul Israël ? Oui pensent la plupart des Juifs dans une perspective de peuple saint, « élu », non, affirme Paul, car cette promesse divine est accordée avant la circoncision d’Abraham ( 29 ans après selon la tradition).Comprenez par circoncision, l’obéissance à la Loi. Ainsi donc, si la promesse divine est antérieure à l’application de la Loi par Abraham, c’est bien que le salut accordé par Dieu n’a rien à voir avec la Loi d’une part, et d’autre part, que ce salut s’adresse à tous les hommes. Il y a deux descendances d’Abraham : Israël et les païens croyants . Le particularisme d’Israël ( la Loi, la circoncision..) est secondaire par rapport à la foi, à la grâce gratuite de Dieu.

Gal.III,7-10 « Comprenez-le donc ; ce sont les croyants qui sont fils d’Abraham. D’ailleurs l’Ecriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a annoncé d’avance à Abraham cette bonne nouvelle : Toutes les nations seront bénies en toi. Ainsi donc, ceux qui sont croyants sont bénis avec Abraham le croyant. »

 Le salut est accordé à tous les hommes croyants,  il est lié à la confiance, à la foi et non à l’obéissance à la Loi. Rappelez-vous l’affirmation de Jésus : «  Ta foi t’as sauvé ».

 

b-        Alors quelle est donc l’utilité de la Loi ?

 à quoi sert-elle si l’obéissance à ses commandements ne sauve pas ? Pour Paul, qui est toujours juif ne l’oublions pas, la Loi n’est pas mauvaise en soi, mais elle le devient à cause du péché qui agit dans l’homme.

Rm VII,13 «  La Loi serait-elle péché ? certes non ! Mais je n’ai connu le péché que par la Loi. Ainsi, je n’aurai pas connu la convoitise si la loi n’avait dit : tu ne convoiteras pas ! saisissant l’occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car sans la Loi, le péché est chose morte. Jadis, en l’absence de Loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie et moi je suis mort. »

 

Comment comprendre que le péché agit par le commandement de la Loi ? Le juif pieux a la volonté de bien faire, de faire plaisir à Dieu…. Pour être récompensé en retour. Il y a ici une démarche d’appropriation du salut, un désir de puissance en fait : c’est ça le péché et non pas la transgression d’un code moral, d’un interdit.

Par une obéissance scrupuleuse de la Loi, l’homme juif s’empare de la grâce, et donc meurt à Dieu.

 

c-      Israël ? quel avenir ? Paul est très embarrassé pour répondre à cette question, il hésite entre deux arguments :

il n’y a pas d’échec. Les véritables enfants d’Abraham sont les chrétiens. Le peuple juif s’est toujours comporté de la même manière dans l’histoire, c’est un peuple à la « nuque raide », il y a toujours eu une majorité qui n’écoute pas la parole de Dieu ( c’est le rôle historique des prophètes : le prophète est celui qui rappelle). Il en est de même aujourd’hui, la majorité des Juifs ne reconnaît pas l’action de Dieu en Jésus. Il y a toujours eu un « petit reste », les chrétiens peuvent se penser comme tel ( c’est cette époque le cas également des ésséniens à Qumram).
Il y a échec, mais ! L’autre argument consiste lui aussi à partir du même constat : Isaraêl a refusé           ( chute d’Israël). Paul pourtant a d’abord prêché aux Juifs avant de se tourner vers les païens sans oublier de leur rappeler qu’ils sont la racine qui les porte. Israël est-il a jamais condamné ? non, le salut pour les Juifs viendra tout de même, mais à la fin des temps, quand tous les païens seront convertis, car Dieu est fidèle à sa promesse, il ne tiendra pas alors compte du refus d’Israël. Il y a dans ce qu’entrevoit Paul beaucoup de mystère.

 

3-Comment donc s’organiser pour vivre si les mérites accumulés, recherchés, ne servent à rien pour le salut ? Voici une question  nouvelle qui déconcerte

 

Paul fut obligé maintes fois de répondre à des problèmes concrets liés à ces nouvelles conceptions du salut ; Nous exposons ici sommairement l’argumentation de Paul.

 

a-     l’universel et le pluralisme

 

Si Dieu est UN, il est pour TOUS. C’est la fin du cloisonnement, il n’y a plus ni juif ni grec, mais des hommes !. Gal III,28 «  Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni hommes libre ; il n’y a plus d’homme et la femme, car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ ». Les  groupes sociaux d’alors se définissent le plus souvent par des critères de séparations ( c’est le sens du mot pharisien) ; à ce principe d’identité fermée ( sur des critères distinctifs d’appartenance), Paul expose un principe d’identité ouverte : chaque homme existe indépendamment de son statut social, religieux…, de ses mérites au sens large. C’est le principe de l’universel.

Par contre, cette égalité de chacun devant Dieu n’abolit pas les différences devant les hommes ; dans la société concrète, il y a pluralisme. La nouveauté chez Paul est de combiner les deux dimensions : universalisme et pluralisme, alors qu’avant, la plupart du temps, on avait soit l’un soit l’autre. Un exemple juif peut nous le faire comprendre : à la synagogue, il y a pluralisme car cohabitent des Juifs, des prosélytes et des craignant-Dieu, mais ces trois catégories demeurent séparées.

Le Dieu affirmé par Paul est le Dieu de tous et de chacun, c’est un Dieu personnel. Les communautés chrétiennes pauliniennes  mixtes, formées de fidèles  au statut initial différent (juifs, païens, maîtres, esclaves, hommes, femmes) mettent fin aux ségrégations, ces croyants prennent ensemble leur repas, ne forme qu’un groupe. Il y a là une rupture par rapport aux pratiques des synagogues, c’est tout le problème du conflit d’Antioche qui oppose Paul et les autres apôtres y compris Pierre.

 

       b- comment se libérer ?

l’homme ne peut être libre par lui-même, par maîtrise de soi comme dans les philosophies grecques par exemple. Le péché mène l’homme qui vit dans l’angoisse, c’est-à-dire selon la chair, ce qui l’oppose à Dieu. L’homme ne peut donc être libéré que de l’extérieur :

Rm VIII, 1-11 : «  Ce qui était impossible à la Loi, car la chair la vouait à l’impuissance, Dieu l’a fait : en envoyant son propre Fils dans la condition de notre chair de péché, en sacrifice pour le péché, il a condamné le péché dans la chair… ». Rm VIII, 13-16 « car si vous vivez de façon charnelle, vous mourrez ; mais si, par l’esprit, vous faites mourir votre comportement charnel, vous vivrez. En effet, ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’esprit de Dieu ; vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. »

 

Il faut vivre selon l’esprit dit-il également aux Galates, alors seulement on ne vit plus sous l’emprise de l’angoisse, on est libéré, on se dépréoccupe de soi, on s’ouvre aux autres. L’amour du prochain est bien au centre chez Paul comme pour Jésus, et cet amour du prochain est considéré par tous les deux comme le cœur de la Loi Ainsi comprise, la Loi n’est pas inutile.

 

b-     Si l’homme est sauvé par la grâce et non par ses propres mérites, peut-il faire n’importe quoi ? La morale devient-elle inutile ?, les règles sociales ou religieuses sont-elles nécessaires ? car de toute façon Dieu sauve ?

Avec cette grande nouveauté du salut par la foi ( la grâce acceptée) annoncée par Paul, se crée un vide chez ceux qui étaient habitués à respecter une loi morale. C’était sécurisant d’avoir une loi, c’est-à-dire des jalons, des cadres de vie. Des chrétiens des communautés pauliniennes sont tentés de combler ce vide soit par la débauche ( si ça n’a pas d’importance, et bien allons-y !, c’est le cas de chrétiens à Corinthe), soit en judaïsant ( c’est-à-dire en reprenant les cadres de vie juive, rites et rituels sécurisants, c’est le cas des Galates).

Evidemment, Paul récuse les deux attitudes, (Rm VI,15 « Quoi donc ? Allons-nous pécher parce que nous ne sommes plus sous la Loi mais sous la grâce ? Certes non ! »)

et doit leur rappeler le sens de leur foi. Il s’est passé quelque chose leur dit-il, lors de votre baptême  qui est mort et résurrection.  Rom, VIII, 9 : « Or vous n’êtes plus sous l’emprise de la chair mais de l’esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous ».L’Esprit reçut par le baptême fait partager la mort et la résurrection de Jésus : ce qui meure dans l’homme, c’est la prétention de se sauver seul ( par recherche express de mérites) ; c’est la mort du vieil homme. L’homme nouveau, guidé par l’Esprit saint, crée une vie nouvelle chez le croyant, c’est la sanctification. Il n’ y a plus rien à vouloir prouver, le chrétien vit les fruits de l’esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, douceur, maîtrise de soi.. Gal V,22. L’amour du prochain transforme, elle entraîne une décrispation de l’homme sur son ego, la peur n’organise plus la vie.
Il n’y a donc pas lieu d’installer à la place de la loi juive un nouveau code de morale chrétienne. Le faire, ce serait retomber dans le vieux piège : se croire sauver par l’obéissance à une règle. De toute manière, la Loi n’était pas mauvaise en soi, car si on est libéré du péché, il en reste l’essentiel : « Tu aimeras  ton prochain comme toi-même » Gal, V, 1-13. 18 : « Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi ».

Paul ne propose pas de nouveaux repères d’une morale chrétienne, il conseille simplement de « marcher sous l’impulsion de l’esprit et… tout ira bien «  vous n’accomplirez plus ce que la chair désire » Gal,V,16.

 

 

 

III   L’HERITAGE LAISSE PAR PAUL

 

1-      Un héritage difficile après sa mort.

 

a-     Déjà, Paul est assez seul à la fin de sa vie, il est en butte à l’hostilité des judéo-chrétiens, il est rejeté par le groupe très influent de Jacques à Jérusalem,  les Juifs de Rome se divisent à son sujet. Il est mis à mort par les Romains en qui il avait confiance, la fin de sa vie donne une impression d’échec. A Rome son souvenir est gommé dans les années qui suivent sa mort – nous ne connaissons pas exactement la date-. Vers 65, l’héritage paulinien est très minoritaire dans l’univers chrétien en gestation, il se compose d’un petit nombre de communautés qui n’osent pas s’exprimer, qui n’osent pas afficher à l’extérieur le message radical de Paul. Après 70 ( chute du Temple), on assiste à une compétition entre Juifs et  judéo-chrétiens. Pour attirer les Juifs déboussolés par la destruction de leur temple, les judéo-chrétiens présentent un évangile  le plus près possible du judaïsme. L’évangile de Matthieu ( 90/95), cherche à rallier des Juifs de langue grecque, l’Epître de Jacques en grec (80) critique les communautés pauliniennes car ces groupes sont considérés comme des obstacles à la venue en masse des Juifs vers le christianisme. Ces mouvements de séduction échouent, la majorité juive reste juive.Vers 100, les chrétiens dans leur ensemble sont une minorité par rapport aux Juifs. C’est pourtant, un peu avant le tournant du siècle, que les chrétiens pauliniens vont commencer à relever la tête.

 

b-     un réveil défensif ( vers 80-90). Luc rédige son évangile et les Actes des apôtres où Paul est incontestablement le héros. Il s’agit de le rendre acceptable, montrer son profond enracinement juif : Paul ne va vers les païens qu’après avoir constaté le refus des Juifs, et encore ,sur une initiative de Dieu ! Luc essaie de montrer que Paul n’a jamais renié son judaïsme. Le scandale de Paul est minimisé, sa mise à l’écart n’est donc plus justifiée. Dans ces années 85/90, le judaïsme se réorganise sous la seule tutelle des pharisiens qui durcissent leurs positions, excluent les branches juives marginales y compris les judéo-chrétiens. Ces derniers sont maintenant chassés à leur tour des synagogues. Or, les pauliniens ont eux vécu cette expérience ,une ,voire deux générations auparavant, ils vont pouvoir donner des conseils d’organisation. C’est l’objet des lettres pastorales à Tite  et à Timothée . Les conseils donnés ne sont qu’une pâle imitation  des idées pauliniennes, nous sommes loin du radicalisme de Paul, mais au moins, ses communautés osent sortir de l’ombre au grès de circonstances jugées favorables.

 

c-     La dernière étape du réveil des communautés pauliniennes est la collection et la diffusion des écrits de l’apôtre- vers 100/110. Il n’y a plus à espérer de « conversions » de la part des Juifs, donc le fossé qui se creuse entre chrétiens et Juifs rend acceptable la radicalité du discours de Paul. Auparavant, il avait eu tord d’avoir raison avant les autres. Sa popularité posthume croît, vers 150, dans le texte apocryphe des Actes de Paul, il est considéré comme un saint. Comment désormais l’influence de Paul va t-elle opérer dans le christianisme ?

 

2-      Quelques exemples d’influences de Paul sur la pensée chrétienne

 

a-      Saint Augustin,( 354-430) évêque d’Hippone ( actuellement  Annaba en Algérie) début Ve siècle va être le premier grand penseur chrétien à sortir véritablement Paul de l’oubli dans lequel il était placé depuis longtemps. Il eut une vie assez tourmentée avant de découvrir le christianisme par sa mère, sainte Monique. Hanté par le problème du mal dans l’humanité, il adhère d’abord au manichéisme. C’est lors de son passage en Italie, à Rome et à Milan vers 384 qu’il va  rencontrer saint Ambroise, évêque de Milan. Ce théologien et philosophe va lui faire découvrir les écrits de Paul. C’est bien cette fréquentation des lettres de Paul qui éclairent Augustin et l’amènent à sa conversion chrétienne véritable. Il reçoit le baptême en 387, devient prêtre en 391 et évêque d’Hippone en 395. Cette conversion rapide avait été en fait préparée par une longue méditation intellectuelle qu’il retrace dans un ouvrage célèbre : « Les Confessions ». Il va désormais lutter contre divers hérésies de l’époque et deviendra ainsi un des pères fondateurs de la théologie occidentale. Contre les manichéens qui affirmaient l’existence d’un dualisme du bien et du mal, Augustin est le premier a employer l’expression de péché originel. Le premier homme Adam, par son péché a livré les hommes à l’esclavage de la mort et du péché et donc par conséquence à la damnation éternelle.

 Augustin décrit ce péché comme héréditaire et  lié à l’acte sexuel Dieu par sa grâce sauve d’une manière imméritée, cette grâce est un don. Dieu ne veut pas le mal mais il le laisse se développer. Augustin a lu les lettres de Paul dans la Vulgate, la traduction latine de la Bible ( il n’aime pas le grec), ainsi il a interprété un passage de la lettre aux Romains V, 12 : « (Adam) En lui tous ont péché : inquo », dans le texte grec « eph’hô) «  en suite de qui tous ont péché ». Augustin cherche surtout à lutter contre le pélagianisme (doctrine du moine Pélage) qui affirme que la grâce de Dieu ne suffit pas, elle collabore avec l’action méritoire de l’homme pour faire son salut. Augustin reprenant Paul, affirme que la grâce est pleinement suffisante et, que si Pélage avait raison, Jésus ne serait plus qu’un simple modèle de vertu, ce serait la négation de la théologie de la croix salvatrice.

 

b-     Luther (1483-1546) , le père de la Réforme, va lui aussi relire les lettres de Paul. Entre Augustin et le XVIe siècle, c’est à dire pendant les mille ans du Moyen Âge, la justification liée à la grâce divine est en fait de plus en plus conditionnée par la nécessité de pénitence de l’homme. En revenant aux sources, c’est-à-dire aux textes de Paul en l’occurrence, sans la médiation des sacrements et du discours de l’Eglise, Luther redécouvre la totale gratuité de la grâce divine qui sauve l’homme sans se préoccuper du tout de ses mérites ou absence de mérites. C’est la question des indulgences papales qui relance toute cette réflexion sur la justification . Ce point de doctrine est au cœur des luttes entre catholiques et réformés. Le commentaire de Luther « Sur Romains » lance la fameuse formule «  l’homme toujours pécheur, toujours pénitent, toujours justifié ». Luther comme Paul réaffirme que seule la foi sauve. L’Eglise catholique va réagir à cela lors du concile de Trente ( Italie du Nord ( 1545-1563). L’Eglise affirme que l’homme est certes justifié par la grâce de Dieu, mais en recevant le baptême ( cause instrumentale de la justification, affirmation de la nécessité de l’Eglise), c’est à dire en acceptant de se préparer à la recevoir, l’homme  doit accomplir une action ; l’action de préparation et d’accompagnement de cette grâce.

 

 

c-      Karl Barth (1886-1968) pasteur et théologien allemand expulsé en Suisse pendant la période nazie. Parmi ses nombreux ouvrages,  son « Epître aux Romains » de 1919 reste un texte majeur.  C’est la reinterprétation moderne la plus forte de la prédestination affirmées par Paul dans la Lettre aux Ephésiens I, 4-11 : «  Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour, il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ, ainsi l’a voulu sa bienveillance à la louange de sa gloire, et de la grâce dont il nous a comblés en son Bien-aimé : en lui, par son sang, nous sommes délivrés ; en lui nos fautes sont pardonnées, selon la richesse de sa grâce. Dieu nous l’a prodiguée, nous ouvrant à toute sagesse et intelligence, il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur terre. En lui aussi, nous avons reçu notre part : suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté, nous avons été prédestinés. ».

 

La prédestination est une doctrine théologique selon laquelle Dieu évite à l’homme de s’auto-glorifier, de s’auto-justifier en le sauvant avant qu’il ait éventuellement mérité. Dieu fait le choix d’aimer l’homme. La prédestination n’est pas un prédéterminisme abandonnant l’homme à une fatalité de destin voulu par Dieu. La grâce de Dieu vient libérer la liberté  de l’homme empêtrée dans les mailles du péché. Il y a double prédestination : Jésus-Christ est à la fois l’homme élu de Dieu et Dieu lui-même qui élit les hommes. L’influence de Karl Barth fut forte également en dehors du protestantisme . Hans Küng par exemple qui fut expert au concile de Vatican II, développe une réflexion sur la foi comme réponse personnelle de l’homme au Christ, se situe dans tout cette perspective. A partir de 1980, il a été critiqué par l’Eglise lui reprochant sa timidité quant à l’affirmation de la divinité de Jésus. H. Küng s’est engagé depuis dans le dialogue interreligieux. Toute réflexion novatrice n’est pas facile aujourd’hui comme au temps de Paul.

 

3-      L’image populaire de Paul, a souvent été une image brouillée

 

a-     Paul et les femmes ! que n’a t-on pas dit sur ce sujet ! La misogynie de Paul serait  à l’origine de celle de l’Eglise. Il est vrai qu’a priori certaines formules de ses lettres apparaissent comme bien nettes sur ce sujet : I CO XIV,34-39 : «  que les femmes se taisent dans les assemblées, elles n’ont pas la permission de parler ; elles doivent rester soumises, comme dit aussi la loi. Si elles désirent s’instruire sur quelque détail, qu’elles interrogent leur mari à la maison. Il n’est pas convenable qu’une femme parle dans les assemblées….. ainsi mes frères, aspirez au don de prophétie et n’empêchez pas qu’on parle en langues, mais que tout se fasse convenablement et avec ordre ».

 

Selon  la plupart des chercheurs, ce texte aurait été rajouté plus tard de façon à le mettre en harmonie avec le passage de la Lettre à Timothée ; I Tm II,8 écrit vers 100 dans une ambiance fort différente de l’époque de Paul : « Je veux donc que les hommes prient en tout lieu, levant vers le ciel des mains saintes, sans colère ni dispute. Quant aux femmes, qu’elles aient une tenue décente, qu’elles se parent avec pudeur et modestie : ni tresses ni bijoux d’or, ou perles ou toilettes somptueuses, mais qu’elles se parent au contraire de bonnes œuvres, comme il convient à des femmes qui font profession de piété. Pendant l’instruction la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de dominer l’homme. Qu’elle se tienne donc en silence. C’est Adam en effet qui fut formé le premier. Eve ensuite. Et ce n’est pas Adam qui fut séduit mais la femme qui, séduite, tomba dans la transgression. Cependant elle sera sauvée par sa maternité, à condition de persévérer dans la foi, l’amour, et la sainteté, avec modestie»

 

 Cette lettre pastorale n’est pas de Paul, elle fut rédigée vraisemblablement vers la fin du premier siècle, début du second.

 

b-     Des relectures déformées de Paul. Les préoccupations d’organisation d’églises ici décrites correspondent à cette époque et non à celle de Paul, au contraire, il est utilisé pour garantir les prescriptions données. Ces propos durs sur les femmes doivent être compris dans le contexte d’alors, très complexe : par exemple réintroduire la nécessité du mariage pour lutter contre la tentation du célibat de certains, corriger  l’émancipation féminine qui pourrait résulter de la liberté de l’évangile ( Gal III,28 : « il n’y a plus ni juif ni grec…il n’y a plus l’homme et la femme »). Souvenez-vous que seulement devant Dieu tout humain est identique, non qualifié, mais que l’on retrouve le pluralisme des statuts dans le monde des hommes, surtout à cette époque où le rabbinisme se reconstruit d’une manière assez dure pour la femme.  Hommes et femmes sont invités à vivre leur vérité d’êtres différents, sinon ce serait le monde de la confusion. Vers la fin du premier siècle, il y a une mauvaise lecture du chapitre III de la Genèse comme on le voit dans le passage faussement paulinien de I Tm II,8.

 

Il faut dire fortement que dans les groupes crées par Paul, de son vivant, hommes et femmes prophétisent, exercent des ministères, dans un cadre de culture patriarcale, Paul  était en fait plus progressiste que conservateur pour employer des expressions actuelles.

 

Le processus de déformation de la pensée de Paul va se poursuivre, Tertullien vers 200, un père de l’Eglise, ira encore plus loin que les lettres pastorales : Savourez ce passage extrait de son ouvrage intitulé « De la toilette des femmes » : «  Tu enfantes dans les douleurs et les angoisses, femme ; tu subis l’attirance de ton mari, et il est ton maître. Et tu ignores qu’Eve, c’est toi ? Elle vit encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée. C’est toi la porte du Diable… c’est ton salaire, la mort, qui a valu la mort même au Fils de Dieu. Et tu as la pensée de couvrir d’ornements tes tuniques de peau ? » Nous sommes très loin de Paul.. et pourtant c’est lui qui est l’accusé, tout le monde a oublié Tertullien !

 

c-     Autres clichés.

Paul vu par les Juifs n’est pas plus épargné, on s’en doute, il est la figure du traite ! Or, Paul n’ a pas cherché à se séparer de ses amis juifs, il fut rejeté des synagogues, mais la vraie séparation entre le judaïsme reconstruit après la chute du Temple et le christianisme naissant , se fera après sa mort, fin premier siècle. Sa séparation, non voulue mais anticipée , en préparera une théologie possible, exploitée après lui. De nos jours, de nombreux chercheurs juifs redécouvrent l’intérêt d’étudier Paul, ils se le réapproprient, en soulignant fortement en quoi il était encré dans le judaïsme de son temps.
Paul fondateur du christianisme et non pas Jésus, c’est ce que l’on entend dire parfois.  N’oublions pas que Jésus est la source, Paul lui, reprend sans l’inventer  une même conception de base : la foi sauve. Les deux personnages ont voulu agir  à l’intérieur du judaïsme, Paul ne va vers les païens que dans un deuxième temps. Jésus n’a pas crée de communautés, Paul si, mais sans trop les organiser étant donné l’imminence de la parousie. Paul a sorti le christianisme primitif de son seul horizon juif, pour aller vers l’universel, en cela il est créateur.

 

Conclusion

 

1-     Paul apôtre des Gentils ( païens), pourquoi ? Est-ce par vocation  comme le laisse entendre le partage des tâches lors du concile de Jérusalem ?, par ordre reçu d’une révélation, celle d’Ananias, ou bien est-ce par défaut, face au refus des Juifs ? A cette époque comment se place Paul dans la problématique de l’ouverture aux païens ? Nous possédons des réponses contradictoires :

-         le Jésus de l’histoire

Mt XV, 24 : «  Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël »

Mt X, 5 :      « Ne prenez pas le chemin des païens et n’entrez pas dans une ville des Samaritains ».

Mt VIII,10 : « Chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi » dit-il à propos du centurion de Capharnaüm, un craignant- Dieu.

 

-         Jésus ressuscité envoie ses disciples

Mc XVI, 16 : «  Allez par le monde entier, proclamez l’évangile à toutes les créatures ».

 

Il y avait deux tendances chez les Pharisiens de cette époque de Paul : ceux de Palestine, juifs scrupuleux, gardiens de la loi, et un petit groupe favorable à la propagation du judaïsme parmi les non-Juifs ; Mt XXIII, 15 : «  Vous qui parcourez mers et continents pour gagner un seul prosélyte ».
Dans le Talmud, les prosélytes sont qualifiés de lèpre attaquant le corps d’Israël, ou bien l’inverse, on affirme aussi qu’Israël fut envoyé en Exil dans le but de faire des prosélytes.
Nous rencontrons la même ambiguïté chez Paul .

 

2-     Les idées de Paul ont eut une très grande influence sur le christianisme et sur l’occident au sens large. La plus grande contribution à la culture occidentale est certainement la notion d’individu, de personne. Le fait que Dieu accueille chacun indépendamment de ses qualités, fonde la personne, le moi, l’occident se construit sur cela. Paul a connu bien des évolutions dans sa vie, Certaines  paroles  de Paul nous semblent  parfois confuses, ou ambiguës car, soit nous ne connaissons plus le contexte exact, ou bien parce que lui-même a beaucoup évolué dans sa vie. Ceci peut expliquer des réceptions différentes de Paul au long des siècles.

3-      Finalement, qui était Paul ? un juif hellénisé ;un rabbin pharisien comme tant d’autres ?,  un traite au judaïsme ?le fondateur du christianisme ? dont le rôle aurait été plus novateur et plus essentiel que celui de Pierre ?  Paul ne peut être enfermé sous aucune étiquette. Il est difficile à cerner correctement, il échappe toujours , comme dans sa vie il s’est échappé de Damas ou de sa prison . Mais s’il s’échappe c’est pour revenir convertir, convertir à une autre conception de Dieu. Le cœur de son message est bien là, il y a nécessité de lâcher prise sur un ego  trop présent, sur une attitude religieuse cherchant sa récompense de salut . Comme pour lui, il invite tous les hommes à accomplir un véritable retournement : accepter la grâce de Dieu qui se donne gratuitement, vivre selon ses dons qui sont ceux de l’Esprit .

Nous achevons ce regard sur Paul par ce mot de retournement qui à notre avis caractérise mieux l’expérience de Paul sur le chemin de Damas que le terme souvent employé de conversion. En effet, dans son esprit, il ne change pas de religion pour aller du judaïsme vers  le christianisme, il se sait non seulement toujours juif, mais nous pouvons dire, plus profondément juif. La Bonne Nouvelle annoncée à tous est perçue comme accomplissement du judaïsme. Le retournement vécu et demandé est la conscience vécue de cet accomplissement en Jésus-Christ. C’est l’invitation à vivre selon l’esprit et non selon la chair.

 

 
 

 

Pour aller plus loin

  

Le Monde de la Bible n° 123 ‘déc.99) « Paul, l’enfant terrible du christianisme »

 

Michel A. HUBAUT, « Paul de Tarse » Bibliothèque d’histoire du christianisme, n°18,1997, Desclée.

 

  

 

 

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Dernière modification : 03 janvier 2008