JACQUES, LE
FRÈRE DU SEIGNEUR
UN PERSONNAGE CLEF DU
CHRISTIANISME NAISSANT
Ch. BERNARD
Ce personnage que nos sources nomment Jacques frère du Seigneur est pratiquement un inconnu pour le grand public qui le confond parfois avec lapôtre Jacques, fils de Zébédée qui par un parcours assez extraordinaire est venu faire la gloire de Compostelle, petite bourgade de Galice en Espagne. Le personnage qui nous intéresse fut le dirigeant de la primitive Eglise à Jérusalem à une époque cruciale, son activité doit être mieux connue pour lever un petit coin du voile des racines chrétiennes.
Le discours de lEglise catholique est en grande partie responsable de loubli dans lequel est tombé le personnage.
Le discours théologique affirmant que Jésus est Dieu, né de la Vierge Marie, développant le culte marial, glorifiant la Mère de Dieu, rend difficilement acceptable lidée dun frère du Seigneur.
Le discours ecclésiastique dans sa formule connue : « Je crois en lEglise Une Sainte, Catholique et Apostolique » ne laisse aucune place à un christianisme primitif qui ne serait pas un mais pluriel, à une communauté qui ne serait pas pendant longtemps séparée du judaïsme, qui ne viserait que lhorizon juif des brebis perdues et non lhumanité entière, et qui enfin serait dirigée par un personnage hors de la lignée des apôtres.
Le personnage Jacques frère du seigneur est difficile à sortir de lombre parce quil y a été placé et aussi en raison de sources peu abondantes et difficiles à interpréter. Lexposé qui va suivre essaie de rendre compte des recherches entreprises et ne vise nullement à imposer un point de vue particulier sur un sujet aussi sensible voire encore polémique
I- JACQUES le Frère du Seigneur : Quel degré familial avec Jésus ?
1) Le frère de Jésus ? : un débat ancien .La question des frères et surs de Jésus napparaît quau milieu du IIe siècle, avant ce sujet ne pose pas de problème. Au fur et à mesure du développement de la croyance en la virginité perpétuelle de Marie, il devint nécessaire de trouver une réponse.
a- 1ere solution :naissance miraculeuse de Jésus mais présence « normale » de frères et surs : ceci fut la première position ancienne ( voir les nombreuses références dans les évangiles) et cest actuellement celle de beaucoup de chercheurs. Marie après la naissance « miraculeuse » de Jésus, aurait eu normalement dautres enfants.
Cette position se rencontre chez de nombreux auteurs anciens ( Helvidius au IVe siècle, Hégésippe qui vers 180, dans ses cinq livres de mémoires voulait transmettre la vraie doctrine, « telle quelle a été transmise par les apôtres » emploie lexpression de « Jude, frère du Sauveur selon la chair » , Tertullien ( mort en 225) est lui aussi convaincu de ces affirmations et prétend rapporter la « vraie tradition ».
Cette première position est devenue hérétique dans les premiers siècles de lEglise ; par contre elle ne pose aucun problème aux protestants
b- 2eme solution : Ces frères et surs du Seigneur seraient les enfants dun premier mariage de Joseph ; cest la position de lEglise orthodoxe. Cette explication se retrouve chez de nombreux Pères de lEglise ( Epiphane évêque de Salamine mort en 403, Clément dAlexandrie, Origène, Eusèbe.. Cest la position des Eglises orthodoxes. Cette thèse ne sappuie sur aucun texte du Nouveau Testament où rien ne peut la confirmer ni linfirmer. La plupart des chercheurs catholiques actuels ne ladoptent plus car elle pose deux difficultés :
- elle est issue dun évangile apocryphe ( le protévangile de Jacques)où Josèphe dit « Je suis un vieillard, tandis que Marie est une jeune fille.. » Epiphane affirme que Josèphe avait 80 ans !
- comment alors concilier lhéritage de David pour Jésus si Joseph qui en est le descendant a dautres enfants ?
c- 3eme solution : celle imaginée au IVe siècle par un père de lEglise, Jérôme, le traducteur de la Bible en latin la Vulgate. Les frères en question sont tout simplement des cousins ; cette position est celle de lEglise catholique. La démonstration de Jérôme est complexe, acrobatique, elle joue sur les différents personnages appelés Jacques -voir document en annexe -( Jacob) et Marie ( Miriam) dans le Nouveau Testament : il y a sept Jacques et trois ou quatre Marie selon linterprétation de certains textes ( Marc XV, 40 ; Jean XIX, 25) : Marie mère de Jésus, Marie sa sur, Marie de Magdala, Marie de Clopas.
Jacques le frère du Seigneur est identifié à Jacques le Petit, et la mère de ce Jacques avec Marie de Clopas, la sur de Marie mère de Jésus, ainsi donc, ce Jacques et Jésus sont cousins. A la fin de sa vie, Jérôme est moins affirmatif, mais en tout cas, la mère de ce Jacques est toujours une autre Marie, ce nest pas la mère de Jésus, ils ne sont pas frères. Ces positions ouvertes par Jérôme sont affirmées de nos jours avec force par des chercheurs catholiques, ce qui se voit dans le débat actuellement réouvert.
2) La reprise actuelle du débat fait ressurgir avec violence regrettable parfois, les vieux arguments des uns et des autres pour déterminer les véritables relations familiales entre Jésus et ses frères et surs.[1] Ce sont plus souvent davantage des positions de principes quune recherche sereine, mais cela nous permet de rouvrir le dossier et de nous amener à réfléchir.
a- Quels sont les arguments en faveur de lexistence de frères et de surs de Jésus ?
- Les textes du Nouveau Testament sont écrits en grec, or dans cette langue il y a deux mots distincts pour dire frère adelphos- et cousin anepsios. Cest toujours le terme adelphos qui est employé, ce sont donc bien des frères, car sil sagissait de cousin, il y avait la possibilité de le dire précisément.
- En hébreu et en araméen, le mot frère ( hà ou aha) peut désigner selon le contexte, soit le frère de sang soit le frère apparenté cest à dire, la famille, le cousin entre autres. La question est donc de savoir sil y a sous le texte grec du Nouveau Testament, un sens large araméen. Les auteurs examinent tous les passages et à chaque fois la réponse est non. Prenons ici deux exemples pour illustrer cette recherche :
· un passage de Paul, Epître aux Galates I, 18-19, texte écrit vers 56 qui sadresse aux Galates. Ce peuple dorigine celtique ( Galates est semblable à Gaulois) est présent depuis deux siècles en Anatolie la Turquie actuelle- et parle parfaitement le grec. Lorsque Paul emploie le mot adelphos cest bien pour signifier frère.
· Dans Jean XX 17, Jésus dit « va trouver mes frères », le mot frère signifie frère au sens strict, on ne peut pas soupçonner la langue grecque de Jean de sentir la traduction, il ny a pas derrière de formule araméenne.
b- Les arguments de rejet
- 11er argument, le sens des mots : Les textes sont bien écrits en grec, il ny a pas de texte araméen antérieur, mais, derrière ces textes grecs, il y a des formules sémitiques. Par exemple, les Galates abordent le Nouveau Testament en grec par la traduction de la Septante où la traduction de hà parenté- par le grec adelphos ( frère) est fréquente. Pour ces auteurs, il y a un modèle semito-grec de la septante, la mentalité sémitique ( langues hébraïque et araméenne) se trouve derrière le texte grec, cest un moule culturel sous-jacent ; ainsi donc, il convient de traduire non pas par frère mais par parenté.
- 2eme argument : celui des femmes présentes à la croix, argument majeur pour cette thèse. Que dit lévangile de Jean ? Jn XIX, 25-27 : « Voyant ainsi sa mère et près delle le disciple quil aimait, Jésus dit à sa mère : femme, voici ton fils, il dit ensuite au disciple, Voici ta mère, et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui ». Si Jésus prend soin de confier sa mère à un disciple, cest bien la preuve quil na pas de frère et sur. Cest la thèse dEpiphane vers 375 et dHilaire de Poitiers vers 355.
- Cette position nest pas sans poser problème :
· Les évangiles synoptiques affirment que les disciples se sont enfuis à larrestation de Jésus Mt XXVI,56 « Les disciples labandonnèrent tous et prirent la fuite ».
· Les femmes narrivent quaprès la mort de Jésus et se tiennent à distance (différence avec Jean où elles se trouvent au pied de la croix).
· Ces femmes proches ou à distance- ne sont pas les mêmes dun texte à lautre, selon Marc, il ny a pas Marie mère de Jésus.
· Comment interpréter le verset de Jean, ny a t-il pas une lecture symbolique où Jean serait le type même du disciple parfait et Marie comme symbole de lEglise dans sa fonction maternelle ? Que signifie, « Jean la prit chez lui » ? nest-ce pas accueillir dans son intimité, dans sa vie de foi ? ou encore dans son groupe ? à Jérusalem, la Communauté primitive est constituée de plusieurs groupes.
- 3eme argument : Jacques, fils dune autre Marie.
* Mc XV, 40 « Parmi (les femmes qui regardaient à distance) il y avait Marie de Magdala, Marie, la mère de Jacques le Petit et de José et Salomé », or, dans Mc VI, 3 et Mt XIII, 55, Jacques et José ( Joset ou Josèphe) sont parmi les frères de Jésus. Ainsi donc, Jésus et Jacques sont proches parents, peut-être cousins.Peut-on assimiler Jacques souvent appeler le Juste avec Jacques dit le Petit ? Voir la reconstruction généalogique récente des partisans de cette thèse en annexe.[2]
Toute cette recherche naurait aucun sens sans laffirmation par lEglise catholique de la virginité perpétuelle de Marie. La question de lidentité de Jacques nous amène à revisiter cet aspect.
3) La virginité perpétuelle de Marie
Nous allons succinctement rappeler grâce à quelques jalons historiques comment cette doctrine fut élaborée. Nous allons procéder en remontant le temps, de laffirmation du dogme aux germes repérables.
a- La première mention officielle de la virginité perpétuelle de Marie apparaît en 374 dans le Symbole dEpiphane qui développe le symbole[3] de Nicée de 325. Il est dit : « Le Fils de Dieu sest incarné, cest à dire a été engendré parfaitement de Sainte Marie, la toujours Vierge, par le Saint Esprit ». A cette époque, lon cherche à définir la vraie nature du Christ, aussi, laffirmation de sa nature de Fils unique de Dieu, entraîne t-elle laffirmation du Fils unique de Marie, de la Virginité perpétuelle .
Ces affirmations sont confirmées par deux autres conciles, en 553 par le concile de Constantinople, et en 649, par le concile du Latran : « Virginité de Marie ante partum, in partum, post partum », cest à dire en français, avant, pendant et après la parturition ( vieux mot pour dire accouchement). Cela ne concerne que le mise au monde de Jésus, cest une conception virginale, cest un enfantement virginal pour dire que le Christ est vraiment Dieu et vraiment homme.
b- Les pères de lEglise des deux premiers siècles ne mentionnent pas la virginité post partum de Marie. Saint Justin ( mort en 165) nenvisage la virginité quavant la naissance de Jésus. Avec Irénée de Lyon, (mort en 202) qui installe la mariologie ( il voit en Marie comme lantithèse dEve), il ny a rien sur la virginité après Jésus, post partum.
c- Entre 150 et 200 la rédaction dun texte apocryphe, le Protévangile de Jacques[4], nous fait saisir la naissance des traditions. La virginité perpétuelle de Marie est ici la thèse centrale. Anne, la mère, consacre son enfant Marie au Temple, puis, Marie est confiée à un veuf âgé, Joseph
la naissance de Jésus est racontée en détails, il y a même le témoignage des sages femmes. Les frères et surs de Jésus sont ses cousins et en aucun cas dautres enfants de Marie. Cest ce texte quadopta Origène dans son commentaire sur le récit de lenfance de Matthieu. La filiation divine de Jésus, primitivement posée lors du baptême se déplace et remonte maintenant à la naissance.
d- Il est difficile de remonter plus haut[5], certes, il semble quun culte de la Vierge apparaisse très tôt comme en témoigne le jeûne du mercredi en souvenir de lAnnonciation, en parallèle au jeûne du vendredi.
La question des frères et surs de Jésus est donc toujours un sujet polémique étant donné la distorsion (apparente ou réelle ?) entre le dogme catholique et les textes du Nouveau Testament. Notre étude sur Jacques naura pas à en souffrir, il nous suffira de le considérer comme de la famille de Jésus, frère ou cousin ne changera rien de fondamental à ce qui suit.
II- JACQUES, Chef de la communauté-mère de Jérusalem ( années 40 et 50)
Les Actes des Apôtres et des écrits de Paul nous relatent quelques épisodes de la vie des premières communautés « chrétiennes » dirigées au tout début par Pierre et très vite par Jacques dit le frère du Seigneur. Jacques exerce lautorité suprême dans les années 40 et 50. A quel titre exerce t-il cette fonction, a t-il fréquenté Jésus de son vivant, quelles étaient ses positions théologiques ? telles sont les questions que nous allons analyser.
1 ) Les relations Jacques-Jésus
a- Jésus et la famille en général
Les évangiles nous donnent en apparence une situation contradictoire concernant les considérations de Jésus sur la famille en général :
* en Marc X, 17, Jésus invite au respect des commandements : « Ne tue pas, ne vole pas, Honore ton père ta mère.. »
* en Luc XIV, 26 « Si quelquun vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses surs et jusquà sa propre vie, il ne peut être mon disciple ». Haïr signifie rejeter, dédaigner. Quel sens donner à ce verset ? Verset écrit tardivement, pour signifier que tout est secondaire par rapport à la mission, dire quil y a nécessité pour les disciples de se tenir près à accomplir la mission demandée par Dieu, dire que devant lurgence, les disciples peuvent passer outre les règles ordinaires des commandements. Il ne faut donc pas prendre cela au pied de la lettre.
· Il en ressort plutôt une grande importance des liens de famille. Ces liens sont affichés pendant la vie de Jésus ( noce de Cana, penser à la famille de Pierre, sa belle mère guérie par Jésus, de même la famille de Lazare ); après la mort de Jésus, chacun reste avec sa famille, les apôtres voyagent avec leur femme, on se préoccupe des veuves dans la première communauté
.
b- Jésus et sa famille ? apparemment les rapports sont tendus voire mauvais. Quels témoignages en avons nous ?
- dans les synoptiques ( surtout chez Marc, les deux autres atténuent les oppositions). A deux occasions chez Marc lon voit lopposition, lorsquil chasse les mauvais esprits et attire les foules, lors de son passage à la synagogue de Nazareth. Marc, le plus ancien de nos évangiles rapporte une tradition dhostilité entre Jésus et sa famille. Marc est issu dun milieu qui connaît lEglise primitive de Jérusalem mais ne lapprécie pas car trop intellectuelle, trop liée aux compromissions pour se faire tolérer des autorités juives, doù les passages montrant des ruptures entre Jésus et sa famille, passages rappelés comme des attaques contre Jacques qui est au pouvoir. Ce texte premier de Marc a peut être été rédigé à la fin des années 50 dans la région de Césarée dans un entourage dhellénistes peut être par Philippe ou un proche. Nous sommes loin dune tradition liant Marc à Pierre exclusivement. Le texte de Marc que nous avons est une réédition pour un public païen avec des rajouts en fin de texte.
- Luc : XI, 27-28 : « Une femme lui dit : Heureuses les entrailles qui tont porté et les seins que tu as sucés ! Jésus répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et lobservent. »
- Chez Jean, à trois occasions le lecteur peut constater lopposition entre La famille et Jésus. Lors des noces de Cana « Femme que me veux-tu ? », au retour de Cana et lors de la montée à Jérusalem pour la fête des Tentes (VII, 35) : « ses frères eux-mêmes ne croyaient pas en lui ».
Frères ou cousins, ici peut importe, lessentiel est de constater la division du groupe, du clan. Jean le Baptiste est-il cousin de Jésus ? ce nest pas impossible comme en témoignent leur rapprochement initial et leur opposition finale. Le groupe famille ne reconnaît pas Jésus dans sa mission ( de messie ?) Chacun voit bien quil agit, mais à une époque marquée par les croyances de possessions, la question clé que chacun se pose, la famille comme les autorités juives, est de savoir, au nom de qui il agit ! Cest soit au nom dun esprit positif cest à dire de Dieu soit au nom dun esprit mauvais, cest à dire Belzébul. Les miracles exigent la foi, ils ne la provoquent pas.
Jésus a conscience de jouer un rôle particulier dans lannonce de la venue du Royaume de Dieu, sa famille globalement avait peut-être des prétentions de descendance davidique sur lesquelles il aurait rebondi pour se penser comme Messie ; mais, le problème de Jésus est dêtre reconnu comme tel par Jean le Baptiste. Seul un prophète peut reconnaître un messie, et le déclarer « oint » de Dieu, lui donner lEsprit, ou le lui enlever ( Se souvenir de lépisode des rapports entre le prophète Samuel et le Roi Saül : Premier Livre de Samuel Chapitre XV 1 23).
Jean le Baptiste, comme sa famille en général, ne reconnaît pas la méssianité de Jésus, il nest pas « oint », il « a perdu lesprit » disent ils . La famille et Jean, se font une autre idée de ce que doit être le messie. La nature exacte des relations entre Jésus et sa famille sont difficiles à préciser, au moins à un certain moment elles ont été présentées comme conflictuelles.
c- Les relations de Jésus avec Jacques (frère ou cousin, ici peut importe) sont très difficiles à appréhender, nos sources sont peu loquaces. Les frères de Jésus participèrent-ils à ses activités de son vivant ? Seul Jean semble le suggérer, certains apocryphes cités par Jérôme signalent la présence de Jacques lors de la Cène, mais ce nest pas très fiable. On voit surtout la famille et les frères, à Jérusalem, parmi les premiers disciples après lascension.
· Jacques a t-il été baptiste comme Jésus, comme tous les disciples lont été ? Avoir été baptiste est une des conditions nécessaires pour trouver un remplaçant à Judas, donc comment Jacques aurait-il été accepté en dehors de cette condition ? Par ailleurs, une tradition rapportée par Hégésippe, nous signale que Jacques ne prend pas de bain, et ainsi naurait jamais été baptiste.
· Le texte le plus ancien du Nouveau Testament ( 1 Co XV, 3-8) affirme que Jacques aurait bénéficié dune apparition de Jésus. Ce texte écrit vers 50, si on létudie de près indique surtout à cette date, un compromis entre des « partis » dans la communauté de Jérusalem, une sorte dégalité entre les groupes de Pierre et de Jacques. Rien ne suggère que cette apparition nait entraîné une conversion. Certains chercheurs pensent que Jacques nest pas « chrétien » ( au sens de Paul) mais toujours juif.
· Lorsquil dirige la communauté de Jérusalem, jamais Jacques ne fait allusion à Jésus. Cest un juif, qui comme beaucoup à cette époque, est persuadé de limminence de larrivée du Royaume de Dieu, de laccomplissement de prophéties comme celle dAmos concernant le relèvement de la Tente de David. Jacques se situe dans lespoir dune venue imminente du Messie, de la royauté davidique ultime en Israël ( Actes I-6).
· Jacques comme Jésus sont juifs, le qualificatif quils partagent est difficile à comprendre : ils sont nazoréens [6] comme le sera la postérité de Jacques. Disons que c'est une secte, une tendance à lintérieur du judaïsme, qui désignera très tôt la mouvance issue de Jésus, ailleurs, à partir dAntioche, on dira chrétiens. Ce dernier terme restera, nazoréen disparaîtra de notre horizon. Jésus comme Jacques neurent pas conscience de fonder une nouvelle religion, leurs activités se situent totalement à lintérieur du judaïsme.
2) Lascension de Jacques à la tête de la communauté de Jérusalem à la place Pierre se repère historiquement facilement mais pose question sur sa raison dêtre.
a- quelles sont les dates repères issues de la littérature paulinienne ?
· milieu des années 30, quelques temps après la mort de Jésus : Galates I ;18-19, Paul déclare que trois ans après sa conversion, il va à Jérusalem où il rencontre Pierre et Jacques. Jacques est donc déjà là associé à Pierre à la tête de la communauté,.
· Fin des années 30.Paul donne la liste des groupes qui ont bénéficié des apparitions de Jésus. Ce texte (1 Co, XV, 7) reflète une situation où la prééminence de Pierre est encore reconnue, mais où se lit une prétention à légalité des deux leaders voir le parallélisme des versets 5 et 7-,le groupe perdant est celui des femmes en droit juif, leur témoignage ne compte pas. A cette date, il y a concurrence entre le groupe de Pierre et celui de Jacques.
· Vers 50. Quatorze ans plus tard, Paul revient à Jérusalem et y rencontre Jacques en premier ainsi que Pierre et Jean à propos du « concile de Jérusalem » Cest Jacques qui mène le débat. En une quinzaine dannées, Jacques est passé dassocié à seul dirigeant.
b- Comment expliquer cette ascension de Jacques à la tête de la communauté de Jérusalem ?- et de ce fait, à la tête de tout le mouvement-. Deux types dexplications se conjuguent :
- lusure du pouvoir de Pierre. Pierre , le premier dirigeant du groupe, était lié à une forme précise dorganisation, or celle-ci va échouer :
· lattente de la Parousie imminente entraîne un repli sur soi : rien ne vient !
· Problèmes économiques et financiers du groupe (dans le cadre dune influence essénienne, la mise en commun des biens est perturbée par le départ des plus riches, les hellénistes persécutés.. il sera nécessaire dorganiser une collecte pour ces gens de Jérusalem).
· Au départ, personne ne prévoit dorganiser des missions, cest lactivité extérieure des Hellénistes dEtienne et de Philippe qui oblige le groupe de Jérusalem à changer dhorizon, à regarder le problème non prévu des païens qui souhaitent adhérer. A tout cela, Pierre essaiera de faire face, mais son comportement un peu chaotique montre bien quil est un peu déboussolé, quil ny arrive pas. De plus ce premier groupe va souffrir : vers 44, Jacques fils de Zébédée est exécuté cest le premier des 12 à mourir martyr sous Agrippa I-, Pierre est arrêté il y a un début de persécution publique. Le système Pierre ne fonctionne plus !
- Jacques, lui en face, a plusieurs atouts .
· il a déjà lhabitude de remplacer Pierre lorsque celui-ci est en déplacement
· nayant pas été disciple, il nest pas lié comme les autres à cette attente imminente de la Parousie
· il a bénéficié dune apparition ( cela compense son absence de compagnonnage avec Jésus ?)
· il est membre de la famille de Jésus , ce critère dynastique est essentiel, on lui fait confiance : laction de Jésus perçue comme faisant partie de celle dun clan ( davidique ?)
· il est très pratiquant, cest un juif pieux reconnu comme tel ; cela sécurise tout le monde, son groupe derrière lui est à labri des persécutions ( personne du groupe naide les Hellénistes ou Paul lorsque ceux ci seront inquiétés ). Effectivement, dès 44 et pour un certain temps, il ny aura plus de persécution, le groupe « nazoréen » ou « chrétien »si lon préfère vit en paix mais au prix dun grand conformisme religieux ( ce qui ne plait pas à Pierre et encore moins à Paul ).
3) Le judaïsme strict de Jacques entraîne un conflit avec Pierre et surtout avec Paul.
a- Jacques se méfie des innovations. A lire certains passages du Nouveau Testament, on est surpris par le nombre de visions des uns et des autres, au bénéfice de Pierre notamment . Une vision a pour fonction une révélation nouvelle, laffirmation dune nouveauté. . La Loi seule compte pour Jacques, il préfère sen tenir à ses prescriptions plutôt que découter Pierre parler de sa vision à Joppée ( où la vision lautorise à manger de tout, même avec les païens, où il ny a plus de notion dimpureté). Jacques se méfie des visions. La seule révélation cest la Torah, alors que pour Pierre cest aussi ce que dit le ressuscité ( certes avec crainte voire réticence). Toute la réflexion de Jacques est inscrite dans les traditions juives, rien ne vient des nouveautés comme chez Pierre ou Paul.
b- Le conflit éclate entre le groupe de Jacques et les autres à propos des pagano-chrétiens. Depuis quelques dizaines dannées déjà, le judaïsme, sans chercher à faire des prosélites, intrigue et attire des personnalités dorigine païenne, ce sont des craignant-Dieu. Ces personnes sont associées au judaïsme, non assimilées aux Juifs.La poursuite logique de ce processus est larrivée de païens dans la mouvance juive qui suit la Voie[7], ceux que lon appelle les « nazoréens » ou « chrétiens ». Ces nouveaux chrétiens dorigine païenne sont pour la facilité du propos appelés pagano-chrétiens.
Que faire de ces pagano-chrétiens ? Doivent-ils devenir juifs à part entière pour être chrétiens, étant donné que chrétien ne signifie pas alors une nouvelle religion mais une tendance à lintérieur du judaïsme, comme il en existait beaucoup avant la destruction du Temple.
Cette question se pose concrètement dans les différentes communautés chrétiennes autour de lannée 50. Nos sources sur ce sujet sont dinterprétation difficile et ont donné lieu depuis longtemps à de vives discussions, cela est loin dêtre achevé. La réponse à ce problème passe par trois points semble t-il : la réunion à Jérusalem improprement appelée concile de Jérusalem-, le décret apostolique, le conflit dAntioche. Lordre est ici donné à titre indicatif, mais peut très bien être inversé, on ne sait pas trop bien ce qui est cause et conséquence.
· un problème naît à Antioche : la circoncision est-elle indispensable au salut ? des chrétiens de Judée ( entourage de Jacques ?) disent oui, Paul et Barnabas disent non. Un arbitrage est nécessaire, ce sera la réunion de Jérusalem ( peut-être vers 48-50). De ce fameux « concile de Jérusalem », nous possédons deux versions : Actes XV, 2 beaucoup dajouts sont imputables à Luc-, et Galates II, 1-10. Globalement , le texte de Paul semble être plus authentique.
· Qua t-on décidé à Jérusalem ?
- Pierre y tient un discours très (trop ?) paulinien, où il affirme que la Loi nest pas nécessaire, seule la foi sauve, ainsi, la circoncision ne simpose pas aux pagano-chrétiens.
- Jacques parle en dernier, cite Amos IX- 11-12 selon la Septante : « Quand la maison de David sera relevée », ce sera lentrée dans lère messianique, les païens reconnaîtront Dieu. Ils leur suffit de respecter quatre interdits issus de la Loi. ( Actes XV, 29). « Vous abstenir des viandes des sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de limmoralité ». Cest le décret apostolique. Ceci fut-il décidé ici ? ( thèse de Luc) ou bien décidé plus tard, par Jacques, pour résoudre un autre conflit à Antioche , en labsence de Paul ?.
- Personne nexige la circoncision de Tite , lami de Paul ( est-ce une exception ou un principe ?)
- Paul indique quun principe de partage de mission fut décidé : à Pierre la mission près des Juifs, à Paul celle auprès des gentils ( païens).
· Le conflit dAntioche qui fait ressortir le conflit entre Jacques et Pierre- Paul. A Antioche les chrétiens dorigine juive et les chrétiens dorigine païenne prennent leurs repas en commun, Pierre y participe.
Des envoyés de Jacques se scandalisent de cette situation dimpureté pour les juifs ( judéo-chrétiens) et donnent lordre de la séparation ; il ne peut y avoir de repas en commun ( bien comprendre que cest le lieu et moment de leucharistie). Pierre accepte de se séparer ( peur des autres Juifs, des Zélotes peut-être, dêtre accusé de laxiste). Paul entre dans une colère majuscule, sermonne vertement Pierre, se trouve minoritaire, rompt avec tous et part.
· Nous ne connaissons pas exactement les raison de Jacques, mais cela saccorde avec des conceptions juives du temps. Même si certains païens sont amenés à reconnaître Dieu et le messie, cela ne leur donne pas pour autant le droit dêtre considérés comme membres du peuple juif, du peuple de Dieu. Par ailleurs, les Juifs qui ont reconnu Jésus, forment lIsraël véritable, ils doivent maintenir leur identité ( leitmotive des Juifs de toujours), se séparer ( souci de tout groupe juif) ; Tout le monde comprend et accepte, sauf Paul.
c- Pour Jacques, il faut une communauté à deux vitesses, il ny a pas de conception dun christianisme, nouvelle religion, nouvelle communauté. Il doit y avoir :
- les nazoréens ou chrétiens, des Juifs qui suivent la Voie ( reconnaissent Jésus), qui constituent lIsraël véritable, eschatologique ( celui de la fin des temps).
- Les païens baptisés, qui ne sont pas nazoréens, mais seulement des craignant-Dieu, qui seront sauvés, sans être intégrés, seulement associés à lIsraël véritable. Cest lopposition majeure avec Paul pour qui la foi seule sauve , situation qui abolie les différences de statuts.
* Jacques rattache ces païens qui se convertissent ni à Abraham, ni à Moïse ( les deux sont e st larc-en-ciel, mais rien en matière de rite, ni circoncision, ni baptême). Les nations sont en train de reconnaître Dieu ( cest une nouveauté, signe des temps), mais elles ne sont pas assujetties à la Loi, et ne doivent pas être intégrées en Israël. Jacques accusera Pierre davoir transgressé les barrières en entrant chez Corneille.
* Pour Jacques encore, pour que cela soit plus clair, ces païens se convertissent à Dieu, il nest pas question de Jésus, cest laccomplissement de la prophétie dAmos IX-11. Le seul lien avec Jésus est la réapparition de lidée de lignée de David ( Dieu relève la tente de David).
* Jacques est appelé le Juste ! ceci est en accord avec :
- une conception du message de Jésus qui consiste en une obéissance à la Loi dans le sens dune exigence de justice parfaite ; tel est reçu le message de Jésus en milieu judéo-chrétien ( voir Matthieu V-20 sur la conception dune meilleure justice.
- Une conception de la mission de Jésus : une intercession pour le pardon eschatologique des péchés du peuple « Père , pardonne leur.. ». Ceci na pas de sens auprès des païens, mais seulement auprès des » brebis perdues de la maison dIsraël ». Lécrivain Flavius Josèphe et dautres nous montrent Jacques en prière dans le Temple, en position dintercession.
- Une conception de la paix, le problème de Rome nest pas le leur ( doù les persécutions menées par certains juifs extrémistes, les Zélotes entre autres).
III- La mort-martyre de Jacques, et son héritage.
1) Jacques frère du Seigneur lapidé par les Juifs en 62. La mort de Jacques frère du Seigneur nest pas rapportée par les Actes mais par un juif passé au service des Romains, Flavius Josèphe,[8]dans lun de ses ouvrages « les Antiquités juives « XX 197-203. Texte écrit vers 90, à une époque où le Temple est détruit, où les chrétiens se démarquent des autres juifs.
a- cela se passe dans un contexte très tendu et violent
- le roi de Judée , Hérode Agrippa II ( arrière petit fils dHérode le Grand mort en 4) est un ami et vassal de Rome, mais il conserve le droit de nommer et de déposer le Grand Prêtre, donc un pouvoir de contrôle.
- Cette époque est très troublée, voire anarchiste.
· des personnages se disent prophètes comme Moïse, attirent les foules, annoncent des prodiges dans un cadre didée de fin des temps ; généralement larmée romaine réprime ( il y a de nombreux morts).
· En 45 Theudas mène une foule au Jourdain ( se prend pour un nouveau Josué)
· En 56, un juif égyptien réunit une foule sur le Mont des Oliviers et annonce que les remparts de Jérusalem vont sécrouler.
· Sous le procurateur Félix, Paul est arrêté par les Romains ( comme chef de la secte des Nazoréens), après avoir failli être lynché par la foule des Juifs zélés.
· En 62, un certain Jésus ben Ananias, paysan , prophétise quotidiennement la destruction du temple ; les Juifs le conduisent devant les Romains qui le relâchent ne le jugeant pas dangereux ( pas de disciples).
- pression des Zélotes, des sicaires qui commettent des assassinats ( de Romains et de Juifs).
- Laffaire du mur à Jérusalem ( 60-61)[9]
b- comment nous est rapportée la mort de Jacques en 62 ?
· en 62, le procurateur Festus meurt après être resté en poste deux ans. Lempereur romain Néron le remplace par Albinus qui est alors en poste en Egypte , à Alexandrie. Comme il faut quelques mois pour réaliser ce transfert, il y a donc une courte vacance de pouvoir en Judée. Ce laps de temps qui fut assez long, laisse la place à des initiatives locales, du Grand Prêtre et du Roi Agrippa.
· Agrippa dépose le Grand Prêtre Josèphe, nomme à sa place Hanne (ou Annan, Anne). Membre de la famille bien connue ; Anne et Caïphe étaient les grands prêtres à lépoque de Jésus.
· Hanne profite de labsence du procurateur pour convoquer lui-même le Sanhédrin ( tribunal composé de notables) pour faire condamner Jacques. Ce dernier est accusé davoir transgressé les lois, et, condamné à mort par lapidation. Une tradition postérieure affirme quil a été précipité du haut du mur du Temple et achevé à coups de pierres.
· Après sa mort dit Flavius Josèphe, les plus modérés à Jérusalem ( entendons les pharisiens), expriment leur mécontentement, vont à la rencontre dAlbinus et dénoncent Hanne pour avoir convoqué le Sanhédrin sans autorisation. En colère, Albinus fait pression sur Agrippa qui dépose Hanne ( il ne fit que trois mois de pontificat).
2) Comment interpréter cette mort ? Il est difficile de trouver une réponse, et cela pour trois raisons : nos sources sont là aussi peu bavardes, les tensions et les alliances de lépoques sont complexes et changeantes parfois, et nous ne savons pas exactement comment Jacques était perçu par les uns et les autres.
a- mort par lapidation .Une mort prononcée et exécutée par les Juifs. Quel crime alors mérite une telle peine selon le droit juif ? deux cas de figure selon la Bible : le fils rebelle dénoncé par ses parents ( Dt XXI- 18-21), celui qui maudit le nom de Dieu, qui blasphème ( LV XXIV- 15-17). Ici, on ne peut que retenir le deuxième cas. Quel a put être ce geste, cette attitude de Jacques, considérée comme blasphème par le Grand Prêtre Hanne ( très rigoureux sur la Loi, proche des Sadducéens) et par le Sanhédrin, cest à dire les notables de Jérusalem ?.
Ce grand Prêtre Hanne est décrit dans un autre ouvrage de Fl. Josèphe, « la guerre juive » où il en fait léloge en soulignant son action à lapproche de la guerre de 70. En effet Hanne sefforce alors déviter la guerre, il organise une résistance armée du peuple contre les fauteurs de guerre, Zélotes et sicaires ( G IV- 162- 192. Il sera tué par une opposition de Zélotes et dIduméens ( Les Zélotes ces années davant guerre, créent une véritable terreur, tuant toute personne désirant séchapper de Jérusalem. Ce Hanne qui aime la paix et qui na pas réussi à éviter la guerre, pourquoi fait-il tuer Jacques ?.
b- hypothèse dun chercheur, Etienne Trocmé.[10] Le groupe judéo-chrétien de Jérusalem dirigé par Jacques, aurait été perçu par les Zélotes, comme laxiste à légard de la loi de Moïse, et fauteur de trouble ( penser à la longue liste darrestations et dexécutions : Etienne et les Hellénistes, Jacques fils de zébédée, arrestation de Pierre, problèmes de Paul, et auparavant Jean le baptiste, Jésus.). Cette fois en 62, cest Jacques le frère du Seigneur et dautres membres de son groupe ( persécution collective). E. Trocmé pense que le Grand Prêtre Hanne , en labsence du procurateur romain, na pas pu résister à la pression exercée par les Zélotes sur lui et son entourage. Pour ne pas être critiqué, il devait se montrer ferme à légard de ce courant juif particulier, les nazoréens. Dans la Palestine de lépoque, ne peuvent se maintenir que des courants juifs strictement fidèles à la Loi, ou apparaissant comme tel. Paradoxalement, le pouvoir romain peut être protecteur, en son absence, le courant chrétien est en danger.
c- Lhypothèse de R.Eisenman[11] est plus élaborée, peut être plus improbable, mais intéressante à étudier par les points quelle soulève. Selon lui, Jacques serait le Maître de Justice des Esséniens.
· Les Esséniens et les zélotes, ont au moins ce point commun qui consiste à être contre les grands prêtres en place, et à souhaiter linstallation dun Grand Prêtre plus pur. Pour beaucoup à lépoque, lenjeu des luttes est le pouvoir du pontificat : seul le Grand Prêtre, une fois lan a le droit de prononcer le nom de Dieu dans le saint des saints du Temple, ce qui lui confère grand prestige et pouvoir.
· Un texte de Qumram parle dun Grand Prêtre résistant qui sest manifesté comme Grand Prêtre le jour du Grand pardon ( Yom Kippour) ( à une date correspondant au calendrier essénien et non de Jérusalem). Pour Eisenman, ce serait Jacques qui se serait considéré comme le vrai Grand Prêtre et, ainsi, se serait attiré lhostilité mortelle de Hanne ; pour ce dernier, le geste de Jacques ne pouvait être que blasphème . Cest une hypothèse osée, difficile à tenir, mais qui a le mérite de bien faire ressortir certains aspects qui cadrent bien :
- lidée que Jacques est un homme pieux et juste
- avec ce quen dit Héségippe ( source perdue mais commune à Origène, Eusèbe de Césarée et peut être Clément dAlexandrie). Pour eux, Jacques est un nazir permanent, comme Samuel, Jean le Baptiste ( mais ne prend jamais de bain rituel). Il avait le droit dentrer dans le Temple et dy porter des vêtements de lin ( les habits sacerdotaux sont en lin, sous le Roi Agrippa, les Lévites reçoivent ce droit, comme les prêtres). Au Temple, Jacques à genoux demande pardon à Dieu pour le peuple : cest lattitude du Grand Prêtre le jour du Grand Pardon. Ce serait là le blasphème, commis au Temple (où continuent à aller les « premiers chrétiens »), ou ailleurs, car noublions pas que la première communauté se pense comme le nouveau Temple.
d- une autre hypothèse, très plausible bien quancienne ( 1958), est celle de P. Gaechter qui voit dans la mort de Jacques, le résultat dune hostilité permanente de la maison de Hanne à lencontre de Jésus et ensuite des dirigeants de lEglise. Cette thèse est intéressante si lon considère laspect dynastique familial de la descendance de Jésus ; deux clans sopposeraient pour la conquête du pouvoir.
3) quelle postérité pour Jacques ?
a- Jacques est le type même du judéo-chrétien, dune Eglise primitive très enracinée dans le judaïsme, non conscient de fonder une nouvelle religion. Sa postérité, cest le judéo-christianisme, mouvement qui continue lobservance de la loi, qui garde son identité juive.
- Il faut rappeler ici brièvement ce que fut pendant longtemps notre perception du judéo-christianisme. La crise de 70 leur fut fatale, comme ils nétaient disait-on, ni juif ni chrétien, ils devaient enfin faire le choix entre :
· retourner à la synagogue ( abandon de la foi en Jésus)
· intégrer lEglise ( abandonner la Loi de Moïse)
· ou continuer dans leur situation intermédiaire. Ceux qui persistèrent, connus sous le nom de Nazoréens et dEbionites, furent vite perçus comme hérétiques à la fois par les Juifs et par les chrétiens.
- La vue actuelle des judéo-chrétiens est un peu différente, moins simpliste. Certes, la crise de 70 leur porte un coup rude mais malgré cela, ils demeurent présents encore pour longtemps, et furent pendant des décennies une minorité puissante, active. Localement ils continuent à dominer ; cest le cas en Egypte où se créa assez tôt une puissante communauté judéo-chrétienne ( il y a en Egypte 1 million de juifs sur une population de 7 à 8 millions dhabitants). Cette Eglise dEgypte est subordonnée à Jérusalem et pourtant nos sources du Nouveau testament nen parlent jamais, elle est hors du champ daction de Paul. A Jérusalem, la tradition prétend que la communauté se replie à Pella pendant la guerre de 70 et revint ensuite, mais sans avoir le prestige davant.
- Il nous reste une série décrits judéo-chrétiens ce qui prouve leur importanceIl nous reste une série décrits judéo-chrétiens ce qui prouve leur importance
· lévangile selon Matthieu est considéré maintenant comme judéo-chrétien ; lauteur se considère comme juif, le mouvement chrétien est appelé le nouvel Israël, cet évangile est écrit pour faire de nouveaux adhérents juifs, il sadresse peu aux païens ; on y respecte la Loi telle que Jésus lavait interprétée.
· Lévangile de Luc et les Actes des Apôtres sont des écrits de plus en plus perçus comme étant écrits par des auteurs juifs ou du moins très judaïsés, appartenant à une communauté observant la Loi, avec une présence de pagano-chrétiens respectant le décret apostolique. Les judéo-chrétiens dominent ce contexte.
· La Didaché, texte de la deuxième moitié du Ier siècle provient dune communauté mixte où lidéal est de devenir juif, de judaïser ( sinspire en partie des idées de Jacques).[12]
· LEpitre de Jude, lApocalypse de Jean, la 2e Epitre de Pierre, lEpitre aux Hébreux, lEpitre de Jacques
proviennent de communautés largement dominées par des judéo-chrétiens.
- Il nest pas facile de dégager de cette littérature une théologie spécifique pouvant être qualifiée de judéo-chrétienne et qui serait lhéritage de Jacques le frère du Seigneur. Il y a diversité à lintérieur de ce que lon nomme judéo-chrétien, les théologies ne sont pas homogènes. Jadis, les Pères de lEglise ont établi une distinction entre deux tendances :
· pour la première, Jésus fut un homme ordinaire, né de Marie et de Joseph, mais en raison de sa piété, de ses actions méritoires, de sa justice, Dieu la adopté comme Messie lors de son baptême.
· Pour la seconde, Jésus est né de la Vierge Marie par lopération du saint esprit, mais nest pas de nature divine. Les Nazoréens décrits par Epiphane et Jérôme seraient les vrais descendants de Jacques, ces gens rejettent les écrits de Paul. Le courant Ebionite serait issu dune scission après la migration de Pella.
La diversité de ces courants judéo-chrétiens, héritage plus ou moins direct du groupe de Jacques, sont le reflet de la diversité à lintérieur de lEglise primitive. On ne le dira jamais assez, au départ, il y a des christianismes.
Au deuxième siècle, les pagano-chrétiens lemportèrent progressivement sur les judéo-chrétiens ; leur peu de succès auprès des autres juifs contraste avec le grand succès que le groupe « chrétien », pagano-chrétien, obtint dans le monde païen. Le mouvement pris de plus en plus lallure dune nouvelle religion, séparée du judaïsme. Ces judéo-chrétiens, marginalisés par les « chrétiens », furent rejetés par le nouveau judaïsme qui se reconstruit après la guerre de 70.
Lislam a recueilli une partie de cet héritage judéo-chrétien ; le Jésus ( Isa) présenté par le Coran lui doit beaucoup : naissance miraculeuse, Jésus mis à part par Dieu mais nest pas Dieu lui-même, il nest quun homme, mais vrai prophète ( notion ébionite).cela prouve quil y avait encore au Proche-Orient des textes et des communautés judéo-chrétiennes.
b- Une postérité familiale. La direction de la communauté de Jérusalem est pendant un certain temps conçue comme une affaire de famille, le devoir dun clan. Après la mort de Jacques nous dit Eusèbe citant Hégésippe, ce sont dautres membres de la famille de Jésus qui sont placés au pouvoir. Il sagit de Siméon, fils de Clopas ( fils de loncle de Jésus et donc son cousin ?), ce qui est certainement anachronique, des deux petits fils de Jude, un autre « frère du seigneur selon la chair ». Ces deux personnages comparurent à Rome dit une tradition, devant Domitien, puis furent relâchés.
Ces passages ne sont pas très sûrs, mais ils indiquent tout de même la présence dun christianisme dynastique ce qui est conforme aux mentalités ( penser à la fonction de Grand Prêtre de Salomon à lépoque macabéenne accaparée par un même clan, à la famille de Hanne, aux dynasties de Zélateurs de la Loi ( les fils de Judas le galiléen sont présents dans la résistance de Massada).
Lespérance messianique qui sest exprimée sous différentes formes était une lutte de pouvoir entre différents groupes, différentes tribus, Lévi, Judas, maison de David.. La lutte pour le pouvoir politique et religieux est une lutte de clans. Penser à lislam naissant. Mahomet nayant pas réglé sa succession, des guerres sensuivirent doù sorti le Chiisme , mouvement à prétention dynastique. De nos jours tel ou tel dirigeant du monde arabe tient à se dire descendant du prophète.
En conclusion, nous comprenons facilement que Jacques le frère du Seigneur devint vite un personnage encombrant pour le christianisme à partir du second siècle.
- son image forte est liée au judéo-christianisme et meurt avec lui. Il fut à son époque plus important que Pierre. Une tradition ecclésiastique fit de Pierre le premier pape et de Jacques le premier évêque de Jérusalem, ce qui est pour les deux faux et anachronique.
- Quand le christianisme est bien installé, Jacques embarasse : les doctrines ont changé en partie, son appelleation de frère du seigneur pose problème eu égard à la virginité perpértuelle de Marie, et également eu égard à laffirmation de la succesion apostolique selon laquelle Jésus aurait fondé lEglise, établi les douze en les envoyant en mission ; comment trouver une place pour Jacques ? sa primauté éffective pendant une vingtaine dannées cadre mal avec lidée que lon se fait de Pierre et des douze en général. Cette même tradition évacue aussi Paul, lautre gêneur !
- Il devint donc nécéssaire décarter la tradition judéo-chrétienne, Irénée de Lyon par exemple nen parle pas. Une Eglise essentiellement dorigine païenne ne pouvait accepter ce Jacques partisan dune séparation entre deux communautés, entre deux types de chrétiens ; Jacques nalait pas dans le sens de lhistoire.
La solution fut trouvée par Jérôme au IV e siècle : Jacques un cousin de Jésus, identifie à Jacques dAlphée, lun des douze, donc soumis de ce fait à Pierre. La thèse de la prédominance de Pierre et des douze est sauve ! cette astuce de Jérôme a bien porté ses fruits, qui de nos jours connaît Jacques le frère du Seigneur, appelé désormais le mineur ( noter le qualificatif pour quelquun qui a dirigé la primitive Eglise), alors que chacun connaît le succès de lapôtre, Jacques dit le majeur, surtout avec les chemins de Compostelle.
Annexes
Les personnages du Nouveau Testament ayant le nom de Jacques
1- Jacques, le frère du Seigneur ( Marc VI,3 ; Matthieu XIII, 55 ; Actes XII, 17 ; XV, 13 ; XXI, 18 ; Galates I, 19 à II, 12 ; I Corinthiens XV, 7.
2- Jacques fils de Zébédée, lun des douze ( Mt IV, 21).
3- Jacques fils dAlphée, lun des douze ( Mt X, 3 ; Mc III, 18 ; Lc VI, 15 ; Actes I, 13.)
4- Jacques le Petit ( ou le Mineur) qui se rencontre dans les récits de la Passion ( Mc XV, 40 ; XVI, 1 ;Mt XXVII, 56 ;Lc XXIV, 10.)
5- Jacques, le père de lun des douze ( Lc VI, 16 ; Actes I, 13).
6- Jacques, personnage se présentant comme lauteur de lépître de Jacques ( Jacques I, 1)
7- Jacques, le frère de lauteur présumé de lépître de Jude ( Jude I, 1).
Les sources
a- dans le Nouveau Testament