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La Fin du roman :
par Abderrazak HALLOUMI , ( professeur de lettres au Lycée
Le Porteau, Poitiers, Diplômé en Sciences et Enseignement des Religions)
Fiche professeur
La "pes sanz fin" d'Yvain sera auprès de Laudine dans cet "autre monde" que constitue le domaine de la fontaine. A l'instar du pin qui protège et couve la fontaine merveilleuse, Yvain sera en harmonie totale avec son "amie chiere et fine" et cela pour toute l'éternité. En dehors du Temps et de l'Espace, le domaine de Landuc, ce "locus amoenus" se referme sur les deux époux. Ce lieu saint où Yvain trouve le repos et la paix est un " paradis"; un éden éternel et dont la description que nous fait Chrétien, au début du roman, n'est pas sans nous faire penser à la Jérusalem céleste:
La fontainne verras qui bout, 380 s'est ele plus froide que marbres. Onbre li fet li plus biax arbres c'onques poïst former Nature. En toz tens sa fuelle li dure, qu 'il ne la pert por nul iver. (……………………………) Lez la fontainne troverras 389 un perron, tel con tu verras; je ne te sai a dire quel que je n' en vi onques nul tel; et d'autre part une chapele petite , mes ele est molt bele. 394 et Chrétien ajoute un peu plus loin:
li perron ert d' une esmeraude 424 perciee aussi com une boz, et s'a quatre rubiz desoz plus flonboianz et plus vermauz que n'est au matin li solauz, quant il apert en orïant. 429
Il n'est pas impossible que la description du domaine de Landuc s'inspire de la vision de l'Apocalypse. Dans les deux cas nous avons l'évocation de l'eau: la fontaine magique dans le roman de Chrétien, le "fleuve d'eau de la vie, limpide comme du cristal"[1] dans le récit de saint Jean. L' "arbre de vie, produisant douze fois des fruits, rendant son fruit chaque mois, et dont les feuilles servaient à la guérison des nations"[2] correspond dans le chevalier au lion au pin qui ne perd pas ses feuilles et qui protège la fontaine.
Dans les deux situations on insiste sur le thème de la lumière: lumière du Seigneur qui illumine la ville d'un côté, éclat des rubis qui soutiennent l'émeraude constituant le perron de la fontaine de l'autre. La chapelle de Barenton représente l'Eglise et nous fait penser au temple du Seigneur. Les parallèles entre les deux récits sont notables, mais ce qui nous semble le plus important et le plus évocateurs c'est que ces deux 1ieux saints sont réservés aux seuls élus: "il n'entrera chez elle rien de souillé, ni personne qui se livre à l'abomination et au mensonge. " [3]
Yvain a expié ses péchés et il est rentré dans l'éternité pour "régner aux siècles des siècles". P. Gallais a écrit: "Yvain monte au ciel et devient une constellation. le Lion, évidemment". [4] Nous serons mêle tentés de dire que le héros de Chrétien accède au Paradis, peut-être pas la Jérusalem Céleste, mais le Paradis de l'Amour où règne une paix et une joie perpétuelles. Plus rien ne viendra troubler le bonheur bien mérité des deux époux.
Cette "pes sanz fin" et Chrétien choisit bien ses mots, montre que toute tension disparaît au sein du couple. "L avenir des deux amants est un présent indéfini, un "état" de réconciliation prolongé à l'infini". [5]
A la fin du roman, le mariage d'Yvain et de Laudine est présenté comme exemplaire, comme idéal. Maintenant, nous sommes cette fois en plein "contenu posé" et les deux protagonistes ont contracté le vrai mariage au sein duquel peut s'épanouir l'amour véritable. Et c'est à la lumière du dénouement d'Yvain que s'explique le "pseudo - prologue"[6]. Chrétien de Troyes oppose donc deux conceptions de l'amour: la sienne ( le mariage d'amour et l'éga1ité des époux dans le mariage) et la doctrine de la fin' amors qui n'est qu'un jeu, un divertissent pour ses contemporains. Chrétien de Troyes critique sévèrement la dégradation qu'i1 commence à remarquer dans leurs comportements :
mes or i a malt po des suens 18 qu'a bien pres l'ont ja tuit lessiee, s'an est Amors molt abessiee, car cil qui soloient amer se feisoient cortois clamer et preu et large et enorable; or est Amors tornee a fable por ce que cil qui rien n'en santent dient qu'il aiment, mes il mantent et cil fable et mançonge an font qui s'an vantent et droit n' i ont. 28
Pour le maître champenois, l'amour est un sentiment noble qui engage l'avenir et la destinée de deux individus. C'est un sujet trop grave pour être pris à la légère. L'amour authentique source de 1'honneur, de la largesse, de la prouesse et de la courtoisie n'est pas un amusement.
Encore un fois, Chrétien de Troyes chantre de l'amour conjugal, reprend son idéal, déjà défendu dans Erec et Enide et dans Cligés. Il célèbre la valeur de l'amour conjugal et sans partage.
Nous sommes loin du Lancelot, roman composé parallèlement au Chevalier au lion, où Chrétien devra sacrifier cette valeur à la célébration de la "fin' amors" chantée par les troubadours et assurer que "Bien est qui aime obéissant". On a pu être choqué et déçu, en tant que lecteur, par la façon dont Lancelot, oubliant la chevalerie, se soumet à tous les caprices de sa maîtresse. C' est le triomphe de 1'amour courtois. La femme assure son pouvoir sur le héros: il n'a aucun droit, il n'a que des devoirs. La Dame domine tout, comme la Comtesse Marie de Champagne, inspiratrice du roman[7], assure son pouvoir sur le romancier auquel elle impose une thèse qu'elle sait ne pas être sienne.
Dans Yvain, Chrétien de Troyes, 1ibéré de toute entrave, de tout engagement[8] , donne libre cours à sa pensée créatrice. « A la souveraineté de la dame a succédé l’égalité des époux. Telle est la nuance « d’amour fine » que Chrétien proposait en exemple à son auditoire courtois : le mariage d’amour et l’égalité des époux dans le mariage, qui prend toute sa valeur par leur union morale, leur confiance entière et réciproque. »[9]
Exploration didactique :
Au terme de l’étude du roman, à travers l’exploration de quelques épisodes, il est possible de construire le « sens » du roman. On réfléchira avec les élèves sur la fin du roman : que signifie «la paix sans fin »pour les deux personnages principaux, Yvain et Laudine ? Peut-on dire qu’Yvain, en récompense de toutes ses actions en faveur du droit et de la justice, est entré au Paradis ?
Autres activités :
- Exposés sur d’autres épisodes ou thèmes non étudiés en cours :
- Le merveilleux dans le Chevalier au Lion - L’idéal du Chevalier - Etude d’ensemble de l’épisode de la folie - Etude d’ensemble de l’épisode Harpin de la Montagne
- Prolongement : Adaptation et travestissement de la légende arthurienne et du thème du chevalier : - Prolongement : adaptation et travestissement de la légende arthurienne et du thème du chevalier
- au cinéma : o Perceval le Gallois de Rohmer o Excalibur de Boorman o Lancelot, de Jerry Zucker o Indiana Jones (Indiana Jones et la dernière croisade) o Les Jedi dans la Guerre des Etoiles - Dans la Bande dessinée - Les supers Héros : Superman, Iron Man, etc… [1] l'Apocalypse XXII, 1 . [2] idem, XXII, 2 [3] Idem, XXI, 27 [4] Pierre Gallais: Yvain et la logique. .. art.. cit. Pris-Ma IV, 1, p.54 [5] Jacques Arfeuillère: le sens de l'évolution d'Yvain. op. cit. p.122 [6] A propos du pseudo - prologue , voir la partie consacrée au discours de Calogrenant [7] Dans le prologue du Chevalier de la charrette, Chrétien annonce qu'il se soumet à la volonté de la comtesse de champagne, et que la matière et le sens du roman lui ont été imposés: puis que ma dame de Champaigne 1 vialt que romans a feire anpraigne, je l'anprendrai molt volontiers 3 (………………… ……………. ) Mes tant dirai ge que mialz oevre 21 ses commandemanz an ceste oevre que sanz ne painne que g' i mette . Del chevalier de 1a charrette comance Crestïens son livre; matiere et san li done et livre la contesse, et il s'antremet de panser, que gueres n' i met fors sa painne et s' antancïon; 29 Il nous semble donc évident que Chrétien annonce que la thèse qu'il va illustrer n'est pas la sienne et qu'elle n engage nullement sa responsabilité. [8] Jean Frappier écrit à propos de cette 1iberté totale de Chrétien lors de l’élaboration du Chevalier au 1ion : « il est bien avec Erec et Enide, l’ouvrage de Chrétien qui donne le plus une impression de liberté créatrice. Le sujet semble avoir été choisi spontanément. Pas de dédicaces qui le subordonne à une volonté étrangère (. . .) Aucune intention de polémique, comme dans Cligès, aucune rigueur doctrinale, comme dans Lancelot, ne raidissent l’intrigue ni le sen : le conflit entre les obligations du mariage et l’idéal chevaleresque de l aventure est retracée en toute probité par un moraliste impartial, malgré les ironies du détai1. ″ Dans Chrétien de Troyes, Hatier 1957, p. 148. [9] Jean Frappier : Etude sur Yvain. … , op- cit. p.l93. |
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