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LA FONTAINE MAGIQUE de Barenton


 

 

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LA FONTAINE MAGIQUE de Barenton / Brocéliande :

par Abderrazak HALLOUMI , ( professeur de lettres au Lycée Le Porteau, Poitiers, Diplômé en Sciences et Enseignement des Religions)

 

L’évocation de la fontaine revient à plusieurs reprises dans le roman : On demandera aux élèves de repérer dans l’œuvre.

 

La description de la fontaine :

  Elle est évoquée longuement à deux reprises dans le récit de Calogrenant :

 

·                                                            Le point de vue du vilain (description au discours direct,  rapportée par Calogrenant à la cour du roi Arthur et par  la même occasion au lecteur)

 

 

Texte en Ancien français

Traduction en français moderne

Mais se tu voloies aller .

Chi pres dusc’ a une fontaine,

N’en revenroies pas sans paine,

Se tu ne rendoies son droit.

Chi pres trouveras orendroit

Un sentier qui la te menra.

Tout droit la droite voie va,

Se bien veus tes pas emploier,

Que tost porroies desvoier :

Il y a d’autres voies mout.

La fontaine venras qui bout,

S’est ele plus froide que rnabres.

Ombres li fait li plus biaus arbres

C’onques peüst faire Nature.

En tous tans le fueille li dure,

Qu’il ne Ie pert pour nul yver.

Et s’i pent .i. bachin de fer

A une si longue chaaine

Qui dure dusqu’en la fontaine.

Les la fontaine trouveras

Un perron tel com tu venras,

Mais je ne te sai dire quel,

Que je n’ en vji onques nul tel,

Et d’ autre part une chapele

 Petite, mais ele est mout bele.

S’au bachin veus de l’iaue prendre,

Et desus le perron espandre,

La venras une tel tempeste,

Qu’en chest hos ne remaurra heste,

Chevreus ne dains ne chiers ne pors ;

Nis li oisel s en istront hors,

Car tu venras si fort froier,

Venter, et arbres pechoier,

Plovoir, toner, et espartir,

Que se tu t’en pues departir

Sans grant anui et sans pesanche,

Trop seras de meilleur chaanche

Que chevalier qui i fust onques. »

 

Mais si tu voulais aller

Jusqu’à une fontaine près d’ici,

Tu n’en reviendrais pas sans quelque difficulté

Ni avant de lui avoir payé son tribut.

Près d’ici tu vas tout de suite trouver

Un sentier qui t’y mènera.

Va tout droit et suis-le bien,

Si tu ne veux pas gaspiller tes pas,

Car tu pourrais facilement te fourvoyer

Il y a bien d’ autres chemins.

Tu verras la fontaine qui bout,

Et qui est pourtant plus froide que du marbre.

Le plus bel arbre que Nature

Ait jamais pu faire lui donne de l’ombre.

Il garde son feuillage par tous les temps,

Car nul hiver ne peut le lui faire perdre.

Il y pend un bassin en fer,

attaché à une chaîne qui est si longue

qu’elle va jusqu’à la fontaine.

A côté de la fontaine, tu trouveras

Un perron – tu verras bien de quelle sorte,

Mais je ne saurais te le décrire,

Car je n’en ai jamais vu de comparable –

Et, de l’ autre côté, une chapelle

Qui est petite mais très belle.

Si tu veux prendre de l’ eau dans le bassin

Et la répandre sur le perron,

Tu verras alors se déchaîner une telle tempête

Qu’aucune bête ne restera dans le bois,

Ni chevreuil, ni daim, ni cerf, ni sanglier.

Même les oiseaux le quitteront,

Car tu verras une turbulence si puissante –

Du vent, des arbres mis en pièces,

De la pluie, du tonnerre et des éclairs –

Que, si tu arrives à t’en sortir

Sans grande peine et sans douleur,

Tu auras plus de chance

Qu’ aucun chevalier qui y ait jamais été. »

 

 

 

 

 

 

·                                                            Le point de vue de Calogrenant

 

 

 

Du vilain me parti adoncques,

Qui bien m’ot la voie moustree.

Espoir si fu tisrchs passes,

Et pot estre pres de midi,

Quant l’arbre et le chapele vi.

Bien sai de l’ arbre, ch’ est la fins

Que chë estoit li plus hiaus pins

Qui onques sor tere creüst-

Ne quit c’onques si fort pleüst

Que d’yaue y passast une goute,

Anchois couloit par dessus toute.

A l’ arbre vi le hachin pendre,

Du plus fin or qui fust a vendre

Onques encore en nule foire.

De la fontaine poés croire

Qu’ ele bouloit com yaue chaude.

Li perrons fu d’une esmeraude

Perchie aussi com une bouz,

S’avoit.iiii.- rubins desous,

Plus flamhoians et plus vermaus

Que n’ est au matin li solaus,

Quant il appert en orïent.

Et sachiés, ja a enscïent

Ne vous en mentirai de mot

La merveille a veoir me nlot

De la tempeste et de l’orage, 

Dont je ne me tieng mie a sage ;

Que maintenant m’ en repentisse

Mout volentiers, se je poïsse,

Que jë oy le perron crevé

De l’iaue au bachin arousé,

Mais trop y en versai, che dout.

Que lors vi le chiel si derout

Que de plus de quatorse pars

Me feri es ialz li espars ;

Et Ies nues tout peIle melle

Jetoient noif, pluië et graille.

Tant fu li tans pesmes et fors

Que je quidai bien estre mors

Des fourdres qu’ entor moi caoient,

Et des arbres qui depechoient.

Et des arbres qui depechoient.

Tant que li tans fu rapaiés ;

Mais Dix tant me rasseüra

Que li tans gaires ne dura,

Et tuit li vent se reposerent.

Quant Dix ne plot, venter n’oserent

Et quant je vi l’ air cler et pur,

De joie fui tout asseür,

Que joie, s’onques le connui,

Fait tost oublïer grant anui.

Des quelitansfutrespassés,

Vi tant seur le pin amassés

Oysiaus, s’est qui croire m’en veulle,

Qu’il n’i paroit branche ne fuelle,

Que tout ne fust couvert d’oisiaus

S’en estoit li arbres plus biaus ;

Et trestuit li oisel chantoient,

Si que trestuit s entr’acordoient

Mais divers chans chantoit chascuns

C’onques che que cantoit li uns

A l’autre canter n’i oï.

De lor joie me resjoï,

S’escoutai tant qu’il orent fait

Lor serviche trestout a trait.

Ains mais n’oï si bele joie,

Ne mais ne cuit que nus hom l’oie,

Së il ne va oïr chelui,

Que tant me pleut et enbeli

Que je me dui pour fol tenir.

Je quittai alors le rustre,

Qui m’ avait si bien indiqué le chemin.

Il était peut-être tierce [1]passée,

Et il pouvait même être près de midi,

Quand je vis l’ arbre et la chapelle.

Quant à l’ arbre, je peux vous assurer

Que c’était le plus beau pin

Qui  ait jamais poussé sur terre,

Je ne crois pas que, même lors de l’ averse la plus violente

une seule goutte d’eau passerait au travers ;

elle coulerait, au contraire, complètement par-dessus.

Je vis pendu à l’ arbre le bassin,

De l’or le plus fin qui ait jamais encore

Eté mis en vente sur .quelque foire que ce soit.

Croyez-moi, la fontaine

Bouillait comme de l’ eau chaude.

Le perron était fait d’une seule émeraude

Percée comme un tonneau,

Et dessous il y avait quatre rubis,

Plus flamboyants et plus vermeils

que le soleil au matin

quand il paraît à l’orient.

Je vous assure que jamais, sciemment,

Je ne vous mentirai d’un seul mot.

J’ eus alors envie de voir la merveille

De la tempête et de l’orage,

Ce dont je ne me tiens guère pour sage,

Car je me serais bien volontiers repris,

Si je l’avais pu, aussitôt que

j’eus arrosé la pierre creuse

avec l’eau du bassin.

Sans doute en versai-je trop, je le crains,

Car alors je vis le ciel si perturbé

Que, de plus de quatorze points,

Les éclairs me frappaient les yeux ;

Et les nuages jetaient, pêle-mêle,

De la neige, de la pluie et de la grêle.

Il faisait un temps si mauvais et si violent

Que je croyais bien que j’ allais mourir

A cause de la foudre qui tombait autour de moi

Et des arbres qui se brisaient.

Sachez que je restai terrifié

Jusqu’ au moment où le temps s’ apaisa de nouveau.

Mais Dieu me rassura,

Car le mauvais temps ne dura guère,

Et tous les vents se calmèrent ;

Ils n’osèrent plus souffler dès que Dieu en décida ainsi.

T quand je vis l’air clair et pur,

La joie que j’ en eus me rassura tout à fait ;

Car la joie, si du moins je sais ce que c’ est,

Fait vite oublier un grand tourment.

Dès que l’orage fut tout à fait passé,

Je vis, rassemblés sur le pin,

Une telle quantité d’oiseaux, si on veut bien me croire

Que ni branche ni feuille n’ apparaissait

Qui ne fût complètement couverte d’oiseaux :

Et l’ arbre n’ en était que plus beau !

Tous les oiseaux sans exception chantaient,

De façon à former entre eux une harmonie parfaite

Et pourtant chacun chantait une mélodie différente,

Car celle que chantait l’un

Je ne l’ entendis point chanter à l’ autre.

Je me réjouis de la joie qu’ils faisaient,

Et j’écoutai jusqu a ce qu’ils aient

chanté leur office jusqu’ au bout.

Jamais je n’ avais entendu exprimer une telle joie,

Et je crois que personne n’ entendra jamais sa pareille,

s’ il ne va pas écouter ceIle-ci,

car elle me fit tant de plaisir, elle fut si agréable,

que je crus en devenir fou.

 

 

 

 

*

*            *

 

 

 

 

Quelques remarques à faire ressurgir par les élèves :

·                                                            Le bonheur ressenti par Calogrenant est tel, que sept ans après il s’en souvient encore !

·                                                            On verra que la description du vilain, contrairement à celle de Calogrenant ,  est sobre et surtout dénuée de sentiments.

A quoi les élèments évoqués dans ces deux passages font-ils penser ?  Pour ce faire nous ferons avec les élèves une lecture méthodique :

Organisation de la description

-         l’arbre et la chapelle:

-         la fontaine: elle bouillonne ==> opposition froideur du métal et chaleur (surprenante) de l’eau

-         relevé des images

==> lieu magique car représente l’union des contraires

à la fois merveilleux et périlleux:  / harmonie cache le déchaînement de la tempête et la mort.

 

L’orage : Calogrenant voit la main de Dieu dans cet orage.

On étudie le jeu des temps verbaux

 

L’harmonie après la tempéte: les oiseaux = retour illusoire de l’harmonie et de la beauté: “ je n’avais jamais rien entendu d’aussi beau ”. Calogrenant parle d’un “ charme ” = effet magique qui lui fait oublier le lieu et la raison de sa présence.

=è Extase  de Calogrenant  ( à metre en parallèle avec l’histoire du moine félix )

Mais au-delà de ces simples remarques, on amènera les élèves à réfléchir sur le sens de cette page : Pour approfondir l’analyse on aura recours au dictionnaire des symboles pour explorer :

-         l’arbre

-         l’eau/  la fontaine/ la source ( cf ; Bachelard, Durand, Eliade)

-         L’association arbre / fontaine comme motif  et comme archétype du  conte merveilleux et du récit courtois ( cf. Pierre Gallais)

-         émeraude

-         rubis

-         ….

 

 

On attendra des élèves qu’ils rapprochent cette description de la fontaine  au moins de l’évocation du paradis  dans les religions monothéistes.

 

Un travail d’écriture se fait autour du thème du paradis : on demande aux élèves de rédiger un texte dans lequel il décriront un lieu paradisiaque.

 

 

 

 

2)      Les autres évocations de la fontaine dans le roman  ( travail d’approfondissement  ou de recherche)

 

Fiche professeur : 

 

A – Yvain  tente à son tour l’aventure de la fontaine :

 

En tentant l'aventure de la fontaine magique, Calogrenant voulait mettre à 1'épreuve sa "proesce" et son "hardemant". Pour lui, "Avanture" ne met en jeu que la force, le courage  et la vigueur physique. "I1 est le représentant type d'une chevalerie désoeuvrée, en quête de réalisation  personnelle."[2] Notre malheureux narrateur n'a pourtant, même sept ans plus tard, pas compris le sens profond de l'aventure qu'il a tentée. "Calogrenant (…) rapporte, sans apparemment en avoir perçu le sens, une aventure (… ) dans laquelle il  a échoué" .[3] "Précurseur malheureux, mais informateur fidèle"[4] . Calogrenant a le mérite de mettre la cour au courant de l'existence de la merveille- Mais pourquoi a-t-il mis si longtemps avant de dévoiler son secret?

Selon Begoña Aguiriano[5], et cela n'est qu'une hypothèse parmi d'autres, " pendant sept ans le silence a été nécessaire, et même obligatoire, mais maintenant c'est le moment propice  re-,initier l'expérience dans laquelle un autre héros prendra la relève et s'acheminera vers sa propre rénovation."

 

Le récit de Calogrenant va anticiper à la fois sur l'Aventure et sur les événements du roman: par ce procédé, Chrétien de Troyes fait 1'économie de la description du chemin suivi par Yvain pour atteindre la fontaine magique- Il ne s'attarde pas sur des événements déjà racontés- Il se contentera d'évoquer le voyage d'Yvain - depuis la cour d'Arthur jusqu'à la fontaine merveilleuse - seulement en 51 vers (vers 760 à 810).  

 

Que que il parlait ensi                            649

Li rois fors de la chambre issi

(------------------------)

et la reïne maintenant

les noveles Calogrenant

li reconta tot mot a mot

que bien et bel conter li sot.                      660

 

Ces "noveles Calogrenant", outre leur fonction d'anticipation, suscitent des réactions différentes: alors qu' Yvain déclare qu'il s'en ira, tout seul, "venger la honte" de son cousin, Arthur émerveillé par l'histoire rapportée par Guenièvre, déclare  de son côté qu'avant quinze jours, il ira "veoir" la fontaine magique et "la tempeste et la merveille" (vers 665-667), accompagné de tout ceux qui le voudront- La décision d'Arthur enchante toute l'assemblée, à part Yvain qui craint que la gloire de 1'Aventure ne lui soit confisquée au profit de Keu ou de Gauvain. C'est pour cette raison qu'il se résout à courir tout seul l'aventure - Et c'est à la dérobée qu'il s'en va avant tous les autres.

 

Par ses informations, Calogrenant a suscité l'émerveillement et excité le désir, aussi bien d'Yvain que de la cour d'Arthur. Yvain ne court l'aventure de la fontaine que parce qu'elle lui a été dévoilée par Calogrenant- Yvain, selon l'expression de René Girard, est pleinement médiatisée par les paroles de son cousin.  P. Gallais a défini ce  processus "Par médiatisation, j'entends, à la suite de René Girard, plutôt qu'à celle de Lucien Goldmann, cette propension que l'homme   a peu à peu acquise et renforcée, à interposer quelque chose Ou quelqu'un entre soi-même et l'objet qu'il désire." [6] Yvain va là où on lui dit qu'il pourrait trouver l'Aventure. Il ne fait que suivre les traces de Calogrenant, ne cessant de se remémorer. les descriptions déjà faites par son cousin. Yvain n'a rien à découvrir.  En résumé, il ne fait qu'imiter son cousin : la tentative d'Yvain ne peut plus être placée sous le signe du hasard,  mais plutôt sous le signe du connu, du "déjà vu". A ce propos,  Jean Frappier écrit : "L'aventure est jalonnée par les épisodes que nous connaissons déjà : l'accueil parfait de l'hôte et de sa fille, la rencontre des taureaux sauvages et de leur monstrueux gardien, 1' arrivée à 1a fontaine magique"[7]

 

 

B - Yvain , après sa victoire sur Esclados le Roux, épouse sa veuve, Laudine, et devient le nouveau gardien de la Fontaine

 

Peut-on parler d'aventure authentique en ce qui concerne Yvain ?

 

Il est dès lors évident que la véritable aventure d'Yvain ne commencera que là où prenait fin celle de Calogrenant : à partir du moment où - si les choses se passent comme il l'espère - il sera vainqueur du défenseur de la fontaine. Tout ce qui peut suivre cette victoire espérée est absolument inconnu et Yvain ne s'y est nullement préparé. Ainsi, l'aventure "véritable" commence pour Yvain Là où il pensait qu'elle allait s'achever : en poursuivant Esclados Le Roux, le défenseur du domaine de la fontaine, après l'avoir gravement blessé, Yvain ne s'attendait pas à être pris au piège, ni à tomber amoureux de Laudine, la dame de la fontaine. Yvain ne croyait pas que l'aventure allait prendre un autre tournant.

Yvain considère l'aventure de la fontaine comme une simple distraction, un simple divertissement.  La fontaine perd une partie de son caractère merveilleux, pour se transformer en une sorte d'aventure banalisée ; comparable à un simple tournoi où l'on prouve sa capacité à manier les armes. Pas davantage que Calogrenant Yvain ne semble pas percevoir le sens profond de l'aventure qu'il tente. L'aventure de la fontaine perd tout son caractère  mystérieux. "Tous les indices de l'aventure, le merveilleux, l'insolite, marques de la forêt aventureuse, sont réduits, banalisés"[8] pour laisser place à une sorte de circuit touristique où tout est préparé

d'avance. Yvain n'a pas le temps d'admirer les paysages tellement il est hanté par le désir d'atteindre le plus rapidement possible la fontaine magique, quels que soient les obstacles et les "divertissements" qu'il rencontre : 

 

Qui que le doie conparer,                                        772

Ne finera tant qu'il voie

Le pin qui la fontaine onbroie,

Et le perron et la tormante

Qui grausle, et pluet, et tone, et vante.                     7 76

 

Yvain se fixe un but et il faut qu'il l'atteigne coûte que coûte. Rien ne pourrait le détourner de son objectif ;  rien ne pourrait le retarder- Même devant le spectacle merveilleux qu'offre le vilain gardien des taureaux sauvages, Yvain, contrairement à Calogrenant, ne pose pas de questions au géant pour savoir s'i1 est " boene chose ou non".  Il se contente de se signer plus de cent fois devant la laideur du vilain- Yvain reprend son chemin sans perdre un instant :

Puis erra jusqu'à la fontaine,                      800

Si vit quan qu'il volait veoir.

Sans arestez et sans seoir

Versa sor le perron de plain

De l'eve le bacin tot plain.                            804

 

L'aventure tentée par Yvain se réduit ainsi à une simple réponse à des provocations: piqué dans son amour-propre par les sarcasmes de Keu, Yvain ne pense, même au fin fond de sa prison (la chambre où Lunete l'a caché) qu'à trouver un moyen de prouver sa victoire. Heureusement, devenu le nouveau défenseur de la fontaine, Yvain assouvit sa vengeance, lors d'un combat singulier, en faisant faire la torneboele à Keu. 

 

C- retour à la fontaine avec le lion, après sa séparation avec Laudine: il est guéri de sa folie et doit sauver Lunette, avant de reconquérir le coeur de sa dame

 

 

D - Yvain revient pour se battre contre les trois chevaliers après avoir vaincu le géant Harpin

==> Ces deux épisodes sont proposées comme sujet d’exposé

 

E- La fin du roman : après tous ses exploits,  Yvain revient déchaîner la tempête à la fontaine pour faire céder sa dame

 

Fiche professeur : 

Le seul moyen trouvé par Yvain pour rentrer en grâce auprès de Laudine, c'est de retourner à la fontaine magique et déchaîner la tempête aussi longtemps qu'il faudra. Ainsi, la dame de la fontaine, n'aura le choix qu'entre la réconciliation (la "pes") et un perpétuel ouragan:

Et panse qu'il se partirait                     6507

toz seus de cort, et si iroit

a sa fontainne guerroier;

et si feroit tant foudroier,

que par force et par estovoir

li covanroit feire a lui pes

ou il ne fineroit ja mes

de la fontainne tormanter

et de plovoir, et de vanter.                     5516

La répétition à trois reprises de 1'adverbe " tant" et 1'emploi du verbe 'guerroier", montrent à quel point Yvain est décidé à jouer sa dernière carte. C'est le sursaut de quelqu'un qui a compris que son existence n'a aucun sens s'i1 ne peut pas la partager avec sa "fame".

 

Yvain toujours accompagné de son lion qui fait, comme nous L'avons déjà vu,  partie intégrante de lui-même, arrive à la fontaine magique. Il déchaîne, comme il l'avait dit, un ouragan si terrible que la forêt de Brocéliande est prête à disparaître. Chrétien nous dit :

 

Ne cuidez pas que je vos mante

que si fu fiere la tormante

que nus n'an conteroit le disme,

qu'il sanbloit que jusqu' an abisme

deüst fondre la forez tote!

 

Les efforts conjugués d'Yvain et de son lion (remarquons l'emploi du pluriel: "puis errerent tant que il virent / la fontaine; et plovoir i firent", vers 6523- 4; ce qui nous invite à penser que le lion aide son maître aussi dans cette dernière entreprise) font que la force de la tempête est amplifiée.  Jamais l'orage n'aura atteint une telle intensité[9] . Les habitants du domaine de la fontaine sont pris de panique. Même la hautaine Laudine: " craint que son château ne soit complètement effondré: les murs vacillent, le donjon tremble et il s'en faut de peu qu'il ne s'écroule". Apeurée, elle demande l'avis de sa suivante Lunete qui lui conseille la nécessité de faire appel au chevalier au 1ion, celui qui tua le géant et vainquit les trois chevaliers car lui seul est capable d'arrêter la tourmente.

 

Lunete avertit sa maîtresse que le chevalier ne consentira à leur venir en aide, que si Laudine lui promet de faire l'impossible pour mettre un terme à sa disgrâce auprès de sa dame. Laudine consent, mais Lunete juge plus prudent de la lier par un serment solennel: elle la fait jurer sur les reliques ( vers 6605 à 6628). Prises ainsi au jeu de la vérité, la dame de la fontaine ne peut plus se dérober. A la fin du roman, le héros jouit d’une paix sans fin avec son épouse.

 

Explorations  pédagogiques

 

ð         la fontaine est l’entrée d’un monde merveilleux, où l’amour est possible avec la dame idéale. Mais Yvain n’en fait d’abord qu’une conquête superficielle: il quitte cet univers parce qu’il n’en a pas vu tout l’aspect positif. Il a soif de gloire et de combats. Pour reconquérir le monde de Laudine, il doit subir des épreuves plus terribles que les tournois où il l’a oubliée.

ð         Pour aller plus loin

La fontaine est aussi la porte  d’accés à l’Autre Monde. La littérature médiévale aussi  comporte plusieurs textes abordant ce thème.[10] On pourra proposer aux élèves l’histoire de Saint Brendan.

 

Navigation de saint Brendan.

 

 Brendan, abbé de trois mille moines, désire voir le Paradis, depuis que le saint abbé Barinthus lui a comme Calogrenant à Yvain ‑ raconté son voyage à 1'lle Délicieuse, à la Terre de Promission. Il s'embarque avec quatorze moines qu'il a choisis, plus trois autres qui insistent pour les accompagner (deux seront emportés par le diable).

Première île, à la falaise droite comme un mur, et où ils trouvent de l'eau. La seconde île est occupée par un grand château, où un petit chien les conduit; les portes sont ouvertes, le château ‑ fort riche: cristal et marbre, salles décorées, voûtes représentant le ciel ‑ est désert, et un repas s'y trouve miraculeusement servi; un des trois moines, tenté par le diable, y dérobe une coupe d'or (ou un frein d'argent): il expire, après s'être toutefois repenti.

Puis c'est l'île aux brebis grandes comme des cerfs (boeufs), et la halte sur l'île rase qui n'est autre que la baleine Jasconius (ils célébre­ront chaque Pâque ‑ il y en aura six ‑ sur ce "poisson"). Ensuite, 1'lle aux Oiseaux: au‑dessus d'une source, un arbre immense, couvert de tant d'oiseaux blancs qu'on n'en voit pas une feuille; ces oiseaux sont des anges déchus, mais non damnés (ils ne se sont pas révoltés) ils chantent mélodieusement les heures saintes.

Au Monastére de l'éternelle jeunesse, qui se dresse sur un îlot escarpé au péril de la mer, vingt‑quatre moines vivent depuis quatre‑vingt‑quatre ans; leurs cheveux sont blancs, mais leurs visages, frais comme rose en fleur.; leur nourriture vient du Ciel; à l'église, carrée, sur les cinq autels de cristal, c'est une flèche de feu qui vient, par une fenêtre, allumer les cierges qui ne se consument point.

Après 1'Ile‑tombeau du géant, que le saint abbé ressuscite et baptise, après  la rencontre d'une feuille géante, et d'un oiseau immense qui apporte une grappe d'un raisin merveilleux, c'est l'arrivée à l'île des arbres porte‑vigne (chaque grain a la grosseur d'une pomme), au centre de laquelle une fontaine coule sur les herbes. Il y a aussi cette île plane, enveloppée d'une nuée éblouissante, où vit une communauté monastique de tous âges, et où reste un des trois moines obstinés. Un autre ne pourra l’empêcher de descendre à l'île des démons.

 

Une autre île n'en est pas vraiment une: c'est une immense église de cristal qui jaillit des flots (var.: une immense tente d'or, supportée par un pilier de saphir qui plonge au fond de la mer et monte à perte de vue, dans les nuages).

 

Quelques îles d'enfer, le rocher de Judas, l'îlot de l'ermite Paul, la dernière Pâque sur Jasconius, et c'est l'arrivée au Paradis. Une ceinture de nuées sombres, puis, tout d'un coup, un grand mur qui court d'un horizon à l'autre et monte jusqu'aux nues; lisse, sans nulle jointure, fait d'une matière inconnue, il resplendit comme neige au soleil. La porte est ouverte, et ni les dragons de feu, ni l'épée suspendue ne peuvent rien contre les saints voyageurs. Soleil éternel, grands bois pleins d'oiseaux, rivières pleines de poissons (var.: rivières de lait), prairies fleuries où les daims jouent avec les loups, où la lionne allaite l'agneau. Les pommiers portent à la fois fleurs et fruits. "Ils cueillent des pommes, ils boivent aux fontaines; ils n'ont désir qui aussitôt ne soit satisfait".

 

Du haut d'une colline les moines contemplent une contrée plus merveilleuse encore: tout y est rayonnant, et, dans les bosquets, les anges jouent de la harpe et chantent de façon si suave que l'infirmité humaine ne peut la supporter. L'ange qui les guide leur dit qu'ils ne peuvent aller plus avant; qu'ils prennent, en témoignages, des fruits et des pierres précieuses.

 

Un oiseau envoyé par Dieu guide leur retour. Brendan raconte les merveilles. Ses vêtements, comme ceux des quatorze, restent encore imprégnés "d'une odeur forte et douce, comme d'un jardin plein de fleurs'.

 

 

Résumé par Pierre Gallais, in La Fée à la Fontaine et à l’arbre, un archétype du conte merveilleux et du récit courtois. Rodopi, Amsterdam, 1992  ( p.228-229)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] tierce : : troisièrne heure canoniale de la journée. Equivalant à neuf heures du matin

[2] Claude-Alain Chevallier : Traduction d'Yvain- Edition le Livre de poche, 1988- p.250 (postface)

[3] J. Cl- Aubailly : Plaidoyer pour une mythanalyse : le cas d'Yvain ;  dans Pris-Ma III, 1, 1987, p.4

[4] F. Dubost : Merveilleux et fantastique dans le Chevalier au lion. dans Le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, approches d'un chef-d'œuvre- Etudes recueillies par Jean Dufournet-  Paris, Champion 1984.

[5] B. Aguiriano : Yvain: Chaman occidental du XIIème siècle. In Pris-Ma, III, 2- 1987 p.79

[6] 21- P. Gallais: Littérature et médiation  (op. cit.)

[7] J. Frappier .Etude sur Yvain…; op. cit. p.29

[8] J. Arfeuillère: le sens de l'évolution d'Yvain.  Mémoire pour la maîtrise de Lettres- Poitiers 1982- 1983, p.16

[9] On a pu constater les effets dévastateurs de la Tempête dans le récit de Calogrenant quand ce dernier, après avoir déclenché l'orage, est confronté à la colère d'Esclados le Roux qui se plaint:

"Que vos m'avez de ma meison

fors chacié a fauche et a pluie;

fet m'avez chose qui m'enuie,

et dahez ait cuit ce est bel,

qu'an mon bois et an mon chaste1

m'avez feite tele envoïe

ou mestier ne m'eûst aïe

ne de grant tort ne de haut mur.

Onques n'i ot home asseür

An forteresse qui i fust

De dure pierre ne de fust.

 

[10] Cf.  Pierre Gallais, La Fée à la Fontaine et à l’arbre, un archétype du conte merveilleux et du récit courtois. Rodopi, Amsterdam, 1992. L’auteur rapporte plusieurs exemples de voyages  dans l’Autre Monde empruntés à plusieurs  civilisations.

 

Remonter
LES HORIZONS D
La Structure du roman
Calogrenant
LA FONTAINE MAGIQUE de Barenton
La rencontre avec le lion
PESME AVENTURE
La Fin du roman
Bilan de la séquence

 

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Dernière modification : 03 janvier 2008