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LA FONTAINE MAGIQUE de Barenton / Brocéliande :par Abderrazak HALLOUMI , ( professeur de lettres au Lycée
Le Porteau, Poitiers, Diplômé en Sciences et Enseignement des Religions) L’évocation de la fontaine revient à plusieurs reprises dans le roman : On demandera aux élèves de repérer dans l’œuvre.
La description de la fontaine : Elle est évoquée longuement à deux reprises dans le récit de Calogrenant :
· Le point de vue du vilain (description au discours direct, rapportée par Calogrenant à la cour du roi Arthur et par la même occasion au lecteur)
· Le point de vue de Calogrenant
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Quelques remarques à faire ressurgir par les élèves : · Le bonheur ressenti par Calogrenant est tel, que sept ans après il s’en souvient encore ! · On verra que la description du vilain, contrairement à celle de Calogrenant , est sobre et surtout dénuée de sentiments. A quoi les élèments évoqués dans ces deux passages font-ils penser ? Pour ce faire nous ferons avec les élèves une lecture méthodique :
On attendra des élèves qu’ils rapprochent cette description de la fontaine au moins de l’évocation du paradis dans les religions monothéistes.
Un travail d’écriture se fait autour du thème du paradis : on demande aux élèves de rédiger un texte dans lequel il décriront un lieu paradisiaque.
2) Les autres évocations de la fontaine dans le roman ( travail d’approfondissement ou de recherche)
Fiche professeur :
A – Yvain tente à son tour l’aventure de la fontaine :
En tentant l'aventure de la fontaine magique, Calogrenant voulait mettre à 1'épreuve sa "proesce" et son "hardemant". Pour lui, "Avanture" ne met en jeu que la force, le courage et la vigueur physique. "I1 est le représentant type d'une chevalerie désoeuvrée, en quête de réalisation personnelle."[2] Notre malheureux narrateur n'a pourtant, même sept ans plus tard, pas compris le sens profond de l'aventure qu'il a tentée. "Calogrenant (…) rapporte, sans apparemment en avoir perçu le sens, une aventure (… ) dans laquelle il a échoué" .[3] "Précurseur malheureux, mais informateur fidèle"[4] . Calogrenant a le mérite de mettre la cour au courant de l'existence de la merveille- Mais pourquoi a-t-il mis si longtemps avant de dévoiler son secret? Selon Begoña Aguiriano[5], et cela n'est qu'une hypothèse parmi d'autres, " pendant sept ans le silence a été nécessaire, et même obligatoire, mais maintenant c'est le moment propice re-,initier l'expérience dans laquelle un autre héros prendra la relève et s'acheminera vers sa propre rénovation."
Le récit de Calogrenant va anticiper à la fois sur l'Aventure et sur les événements du roman: par ce procédé, Chrétien de Troyes fait 1'économie de la description du chemin suivi par Yvain pour atteindre la fontaine magique- Il ne s'attarde pas sur des événements déjà racontés- Il se contentera d'évoquer le voyage d'Yvain - depuis la cour d'Arthur jusqu'à la fontaine merveilleuse - seulement en 51 vers (vers 760 à 810).
Que que il parlait ensi 649 Li rois fors de la chambre issi (------------------------) et la reïne maintenant les noveles Calogrenant li reconta tot mot a mot que bien et bel conter li sot. 660
Ces "noveles Calogrenant", outre leur fonction d'anticipation, suscitent des réactions différentes: alors qu' Yvain déclare qu'il s'en ira, tout seul, "venger la honte" de son cousin, Arthur émerveillé par l'histoire rapportée par Guenièvre, déclare de son côté qu'avant quinze jours, il ira "veoir" la fontaine magique et "la tempeste et la merveille" (vers 665-667), accompagné de tout ceux qui le voudront- La décision d'Arthur enchante toute l'assemblée, à part Yvain qui craint que la gloire de 1'Aventure ne lui soit confisquée au profit de Keu ou de Gauvain. C'est pour cette raison qu'il se résout à courir tout seul l'aventure - Et c'est à la dérobée qu'il s'en va avant tous les autres.
Par ses informations, Calogrenant a suscité l'émerveillement et excité le désir, aussi bien d'Yvain que de la cour d'Arthur. Yvain ne court l'aventure de la fontaine que parce qu'elle lui a été dévoilée par Calogrenant- Yvain, selon l'expression de René Girard, est pleinement médiatisée par les paroles de son cousin. P. Gallais a défini ce processus "Par médiatisation, j'entends, à la suite de René Girard, plutôt qu'à celle de Lucien Goldmann, cette propension que l'homme a peu à peu acquise et renforcée, à interposer quelque chose Ou quelqu'un entre soi-même et l'objet qu'il désire." [6] Yvain va là où on lui dit qu'il pourrait trouver l'Aventure. Il ne fait que suivre les traces de Calogrenant, ne cessant de se remémorer. les descriptions déjà faites par son cousin. Yvain n'a rien à découvrir. En résumé, il ne fait qu'imiter son cousin : la tentative d'Yvain ne peut plus être placée sous le signe du hasard, mais plutôt sous le signe du connu, du "déjà vu". A ce propos, Jean Frappier écrit : "L'aventure est jalonnée par les épisodes que nous connaissons déjà : l'accueil parfait de l'hôte et de sa fille, la rencontre des taureaux sauvages et de leur monstrueux gardien, 1' arrivée à 1a fontaine magique"[7]
B - Yvain , après sa victoire sur Esclados le Roux, épouse sa veuve, Laudine, et devient le nouveau gardien de la Fontaine
Peut-on parler d'aventure authentique en ce qui concerne Yvain ?
Il est dès lors évident que la véritable aventure d'Yvain ne commencera que là où prenait fin celle de Calogrenant : à partir du moment où - si les choses se passent comme il l'espère - il sera vainqueur du défenseur de la fontaine. Tout ce qui peut suivre cette victoire espérée est absolument inconnu et Yvain ne s'y est nullement préparé. Ainsi, l'aventure "véritable" commence pour Yvain Là où il pensait qu'elle allait s'achever : en poursuivant Esclados Le Roux, le défenseur du domaine de la fontaine, après l'avoir gravement blessé, Yvain ne s'attendait pas à être pris au piège, ni à tomber amoureux de Laudine, la dame de la fontaine. Yvain ne croyait pas que l'aventure allait prendre un autre tournant. Yvain considère l'aventure de la fontaine comme une simple distraction, un simple divertissement. La fontaine perd une partie de son caractère merveilleux, pour se transformer en une sorte d'aventure banalisée ; comparable à un simple tournoi où l'on prouve sa capacité à manier les armes. Pas davantage que Calogrenant Yvain ne semble pas percevoir le sens profond de l'aventure qu'il tente. L'aventure de la fontaine perd tout son caractère mystérieux. "Tous les indices de l'aventure, le merveilleux, l'insolite, marques de la forêt aventureuse, sont réduits, banalisés"[8] pour laisser place à une sorte de circuit touristique où tout est préparé d'avance. Yvain n'a pas le temps d'admirer les paysages tellement il est hanté par le désir d'atteindre le plus rapidement possible la fontaine magique, quels que soient les obstacles et les "divertissements" qu'il rencontre :
Qui que le doie conparer, 772 Ne finera tant qu'il voie Le pin qui la fontaine onbroie, Et le perron et la tormante Qui grausle, et pluet, et tone, et vante. 7 76
Yvain se fixe un but et il faut qu'il l'atteigne coûte que coûte. Rien ne pourrait le détourner de son objectif ; rien ne pourrait le retarder- Même devant le spectacle merveilleux qu'offre le vilain gardien des taureaux sauvages, Yvain, contrairement à Calogrenant, ne pose pas de questions au géant pour savoir s'i1 est " boene chose ou non". Il se contente de se signer plus de cent fois devant la laideur du vilain- Yvain reprend son chemin sans perdre un instant : Puis erra jusqu'à la fontaine, 800 Si vit quan qu'il volait veoir. Sans arestez et sans seoir Versa sor le perron de plain De l'eve le bacin tot plain. 804
L'aventure tentée par Yvain se réduit ainsi à une simple réponse à des provocations: piqué dans son amour-propre par les sarcasmes de Keu, Yvain ne pense, même au fin fond de sa prison (la chambre où Lunete l'a caché) qu'à trouver un moyen de prouver sa victoire. Heureusement, devenu le nouveau défenseur de la fontaine, Yvain assouvit sa vengeance, lors d'un combat singulier, en faisant faire la torneboele à Keu.
C- retour à la fontaine avec le lion, après sa séparation avec Laudine: il est guéri de sa folie et doit sauver Lunette, avant de reconquérir le coeur de sa dame
D - Yvain revient pour se battre contre les trois chevaliers après avoir vaincu le géant Harpin ==> Ces deux épisodes sont proposées comme sujet d’exposé
E- La fin du roman : après tous ses exploits, Yvain revient déchaîner la tempête à la fontaine pour faire céder sa dame
Fiche professeur : Le seul moyen trouvé par Yvain pour rentrer en grâce auprès de Laudine, c'est de retourner à la fontaine magique et déchaîner la tempête aussi longtemps qu'il faudra. Ainsi, la dame de la fontaine, n'aura le choix qu'entre la réconciliation (la "pes") et un perpétuel ouragan: Et panse qu'il se partirait 6507 toz seus de cort, et si iroit a sa fontainne guerroier; et si feroit tant foudroier, que par force et par estovoir li covanroit feire a lui pes ou il ne fineroit ja mes de la fontainne tormanter et de plovoir, et de vanter. 5516 La répétition à trois reprises de 1'adverbe " tant" et 1'emploi du verbe 'guerroier", montrent à quel point Yvain est décidé à jouer sa dernière carte. C'est le sursaut de quelqu'un qui a compris que son existence n'a aucun sens s'i1 ne peut pas la partager avec sa "fame".
Yvain toujours accompagné de son lion qui fait, comme nous L'avons déjà vu, partie intégrante de lui-même, arrive à la fontaine magique. Il déchaîne, comme il l'avait dit, un ouragan si terrible que la forêt de Brocéliande est prête à disparaître. Chrétien nous dit :
Ne cuidez pas que je vos mante que si fu fiere la tormante que nus n'an conteroit le disme, qu'il sanbloit que jusqu' an abisme deüst fondre la forez tote!
Les efforts conjugués d'Yvain et de son lion (remarquons l'emploi du pluriel: "puis errerent tant que il virent / la fontaine; et plovoir i firent", vers 6523- 4; ce qui nous invite à penser que le lion aide son maître aussi dans cette dernière entreprise) font que la force de la tempête est amplifiée. Jamais l'orage n'aura atteint une telle intensité[9] . Les habitants du domaine de la fontaine sont pris de panique. Même la hautaine Laudine: " craint que son château ne soit complètement effondré: les murs vacillent, le donjon tremble et il s'en faut de peu qu'il ne s'écroule". Apeurée, elle demande l'avis de sa suivante Lunete qui lui conseille la nécessité de faire appel au chevalier au 1ion, celui qui tua le géant et vainquit les trois chevaliers car lui seul est capable d'arrêter la tourmente.
Lunete avertit sa maîtresse que le chevalier ne consentira à leur venir en aide, que si Laudine lui promet de faire l'impossible pour mettre un terme à sa disgrâce auprès de sa dame. Laudine consent, mais Lunete juge plus prudent de la lier par un serment solennel: elle la fait jurer sur les reliques ( vers 6605 à 6628). Prises ainsi au jeu de la vérité, la dame de la fontaine ne peut plus se dérober. A la fin du roman, le héros jouit d’une paix sans fin avec son épouse.
Explorations pédagogiques
ð la fontaine est l’entrée d’un monde merveilleux, où l’amour est possible avec la dame idéale. Mais Yvain n’en fait d’abord qu’une conquête superficielle: il quitte cet univers parce qu’il n’en a pas vu tout l’aspect positif. Il a soif de gloire et de combats. Pour reconquérir le monde de Laudine, il doit subir des épreuves plus terribles que les tournois où il l’a oubliée. ð Pour aller plus loin La fontaine est aussi la porte d’accés à l’Autre Monde. La littérature médiévale aussi comporte plusieurs textes abordant ce thème.[10] On pourra proposer aux élèves l’histoire de Saint Brendan.
[1] tierce : : troisièrne heure canoniale de la journée. Equivalant à neuf heures du matin [2] Claude-Alain Chevallier : Traduction d'Yvain- Edition le Livre de poche, 1988- p.250 (postface) [3] J. Cl- Aubailly : Plaidoyer pour une mythanalyse : le cas d'Yvain ; dans Pris-Ma III, 1, 1987, p.4 [4] F. Dubost : Merveilleux et fantastique dans le Chevalier au lion. dans Le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, approches d'un chef-d'œuvre- Etudes recueillies par Jean Dufournet- Paris, Champion 1984. [5] B. Aguiriano : Yvain: Chaman occidental du XIIème siècle. In Pris-Ma, III, 2- 1987 p.79 [6] 21- P. Gallais: Littérature et médiation (op. cit.) [7] J. Frappier .Etude sur Yvain…; op. cit. p.29 [8] J. Arfeuillère: le sens de l'évolution d'Yvain. Mémoire pour la maîtrise de Lettres- Poitiers 1982- 1983, p.16 [9] On a pu constater les effets dévastateurs de la Tempête dans le récit de Calogrenant quand ce dernier, après avoir déclenché l'orage, est confronté à la colère d'Esclados le Roux qui se plaint: "Que vos m'avez de ma meison fors chacié a fauche et a pluie; fet m'avez chose qui m'enuie, et dahez ait cuit ce est bel, qu'an mon bois et an mon chaste1 m'avez feite tele envoïe ou mestier ne m'eûst aïe ne de grant tort ne de haut mur. Onques n'i ot home asseür An forteresse qui i fust De dure pierre ne de fust.
[10] Cf. Pierre Gallais, La Fée à la Fontaine et à l’arbre, un archétype du conte merveilleux et du récit courtois. Rodopi, Amsterdam, 1992. L’auteur rapporte plusieurs exemples de voyages dans l’Autre Monde empruntés à plusieurs civilisations.
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