|
Etude d’ensemble du récit de Calogrenant : par Abderrazak
HALLOUMI , ( professeur de lettres au Lycée Le Porteau, Poitiers, Diplômé en
Sciences et Enseignement des Religions)
Fiche professeur
Alors qu'Arthur et Guenièvre se sont retirés dans la "Chanbre" ; des Chevaliers d'Arthur devisent entre eux- Ils écoutent Calogrenant raconter pour la première fois son aventure ou plutôt sa mésaventure. Il faut remarquer que le lecteur n'a aucune idée sur le contenu de l'histoire racontée : le seul détail connu, c'est que l'aventure tentée par Calogrenant n'a pas été la cause de son honneur mais, au contraire, de sa honte. Pour en savoir un peu plus les auditeurs de Chrétien de Troyes devront attendre que la reine Guenièvre se joigne aux chevaliers : c'est sur la demande de la reine (qui use de son autorité) que Calogrenant accepte de recommencer son récit dont il va cette fois nous donner toute la teneur- Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, Calogrenant, dans une sorte de prologue[1], exhorte ses auditeurs à faire attention à ce qu'il va dire :
"Cuers et oroilles m'aportez, 150 car parole est tote perdue s'ele n'est de cuer entandue 152 (…………………………….) Et qui or me voldra entandre 169 Cuer et oroilles me doit randre, Car je vuel pas parler de songe Ne de fable, ne de mançonge" 172
Calogrenant ne demande pas qu'on l'écoute mais qu'on l'entende. (Le verbe "entendre" en ancien français a une valeur plus forte qu'en français moderne- " entendre" provient du latin intendere, qui a pour sens "tendre vers; d'où "être attentif à" et c'est le sens que nous retrouverons dans l'ancienne langue.)[2] D'emblée, dans ce passage didactique sur le thème "les oroilles et le cuer", le narrateur (Calogrenant) invite son auditoire à le comprendre[3] : ce qu'il va raconter n'est ni un songe, ni une fable, moins encore un mensonge. Calogrenant ne va retracer que la vérité, toute la vérité et rien que la vérité : c'est à dire qu'il va parler d'événements "réels" dont il a été le témoin, voire 1'acteur principal. Et par cette insistance sur "entendre" Calogrenant ( qui est ici, nous semble t-il, le porte-parole de Chrétien de Troyes) invite ses auditeurs ( et par la même occasion les lecteurs) à chercher le " sens" de cette aventure. Après cette préparation de son auditoire, Calogrenant entreprend de raconter effectivement sa mésaventure :
Sept ans plus tôt, Calogrenant, jeune chevalier, fraîchement adoubé était parti seul "quérant aventures" dans la forêt de Brocéliande. Un jour au sortir de cette forêt, il avait été accueilli dans la "bretesche" d'un vavasseur très hospitalier [4]; Calogrenant avait passé la soirée avec la fille du vavasseur accueillant dans "le plus joli pré du monde. Après le souper et à la demande de son hôte, notre chevalier avait promis de repasser par son manoir- Le lendemain, dans un essart, il avait rencontré un géant immense et fort laid, gardien de taureaux sauvages. Sur ses indications, Calogrenant s'était dirigé vers la fontaine sous le pin : une fontaine merveilleuse qui "bouillonne bien qu'elle soit plus froide que marbre". Bien qu'averti des conséquences terribles qui devaient en résulter, Calogrenant transgresse 1'interdit (en jetant de 1'eau de la fontaine sur le perron) et provoque une tempête effroyable- Une fois l'orage apaisé, il a vu le pin qui protège la fontaine se couvrir d'oiseaux qui chantent harmonieusement- Calogrenant s'abandonne au charme de cette musique, lorsque le chevalier défenseur de la fontaine arrive sur lui avec un grand bruit, l'accusant d'avoir, en déchaînant la tempête, saccagé sa forêt et Ebranlé son château sans raisons évidentes:
"et dist: "Vassax, molt m'avez fet, 491 sans desfïance, honte et let. Desfïer me deüssiez vos, Se il eüst reison an vos, Ou au moins droiture requerre, Einz que vos me metissiez guerre". 496
Calogrenant était évidemment dans son tort : par son action, i1 a saccagé le domaine de la fontaine, et le défenseur de la fontaine, qui est dans son droit ("Plaindre se doit qui est batuz / et je me plaing, si ai reison : vers 502-503), a décidé de châtier 1 e profanateur. Les deux chevaliers s'affrontent en combat singulier. Calogrenant a le dessous. Le défenseur de la fontaine repart en emmenant son cheval. Déçu et humilié, Calogrenant est reparti de son côté en abandonnant son armure. L'aventure tentée par Calogrenant a donc fini bien piteusement. Notre chevalier clôt son récit en disant : "Ainsi allai-je, ainsi revins-je ; au retour, je me tins pour un écervelé. Voilà mon histoire : j'ai eu la sottise de vous la conter, ce que jamais encore je n'avais voulu faire."[5]
Exploration didactique détaillée :
Ce premier passage du roman est étudié à la lumière de trois axes
· 1) l’intertextualité dans le prologue du récit de Calogrenant :
Déroulement
A travers une comparaison avec un passage de saint Matthieu. L’objectif de ce travail est de montrer qu’à une époque où l’Eglise invitait à méditer les sens de l’Ecriture, le roman se veut aussi riche que l’Ecriture, la parole du romancier est parabole. Le professeur rappelle aux élèves que toute œuvre littéraire au Moyen Age devait obligatoirement se flatter de revêtir un caractère didactique : elle devait véhiculer de façon implicite ou explicite un enseignement moral et religieux ; elle devait illustrer une vérité chrétienne. La littérature était un moyen pour diffuser la Vérité. Pour ce faire, le professeur pourra recourir aux prologues du Conte du Graal (Perceval) et des Lais de Marie de France.[6]
§ Amener les élèves à voir que les propos de Calogrenant s’inspirent de l’Evangile § étude des champs lexicaux § travail sur le sens étymologique des verbes entendre et écouter § trouver le sens du mot parabole § Réfléchir sur le rôle joué par la parabole commre procédé de style
.
-
Pour aller plus loin… Etude comparée des prologues du Conte du Graal et de Lais de Marie de France. Le but est de montrer que la parole du romancier, comme c’est le cas dans le prologue du récit de Calogrenant, est parabole. Elle devient un moyen pour diffuser la vérité !
[1] Yvain, vers 150 à 172. Cf. note n.9 [2] A. Dauzat, J. Dubois, R .Mitterant: Nouveau Dictionnaire Etymologique, Quatrième édition, Paris, librairie Larousse, 1971. [3] B. Woledge. op. cit, p.64 : (vers 150 à 172) "Chrétien suspend ici son récit pour insérer un passage didactique sur le thème "les oreilles et le cœur" (il ne suffit pas d'entendre ce qu'on nous dit, il faut aussi le comprendre). La source se trouve dans l'Evangile selon Mathieu, XIII, 14 ss. " [4] Voir l'excellent article de Brian Woledge dans les Mélanges offerts à Rita Lejeune : Bons vavasseurs et mauvais sénéchaux- (p.1263 à 1277). Les vavasseurs sont souvent très aimables dans les romans de Chrétien de Troyes : · Erec est hébergé par le vavasseur père d'Enide. Ce dernier lui prête son armure et lui donne la main de sa fille. · Lancelot est lui aussi hébergé par un vavasseur très aimable. L'hôte hospitalisé vient en aide au Chevalier à la Charrette et permet à ses deux fils de l'accompagner dans sa quête. · Yvain est accueilli à deux reprises chez deux vavasseurs. · Perceval est hébergé lors de sa quête à plusieurs reprises chez des vavasseurs (le mot vavasseur apparaît 14 fois dans le Conte du Graal.) · La seule exception est dans Cligés où on ne trouve aucune évocation de vavasseur- Les vavasseurs, dans les romans de Chrétien, sont toujours très accueillants. Ils sont tous, et toujours, des adjuvants. E. Köhler pense que Chrétien exalte la basse noblesse : les chevaliers les plus pauvres auraient autant de dignité que les plus riches. A propos de vavasseur, voir aussi Etude sur Yvain ( op. cit.) de J. Frappier p.95 [5] La conclusion du récit de Calogrenant Ensi aloi, ensi reving 577 Au revenir par fol me ting 578 Semble une imitation de Wace qui, dans Le Roman de Rou, évoque lui aussi la forêt de Brocéliande et la fontaine magique- A propos de ces deux vers, J. Frappier écrit à la page 28 de son Etude sur Yvain ( op. cit.) : "Il y a probablement ici un écho des vers qui terminent le passage du Rou où Wace a raconté sa visite décevante aux merveilles de la fontaine de Barenton dans la forêt de Brocéliande : Fol m'en revinc, fol i alai Fol i alai, fol m'en revinc Folie quis, por fol me tinc. (Rou , vers: 6418- 6420). [6] Voir annexes [7] Perceval ou le Conte du Graal: Edition Ch. Méla, Paris, 1990, Le Livre de Poche: collection Lettres Gothiques, 9066 v. ("édition bilingue") [8] Les Lais de Marie de France, présentés, traduits et annotés par L. Harf- Lancner (cette traduction est faite d'après l'édition K. Warnke: Die lais der Marie de France, 3ème édition, Halle, 1925), Paris, Le livre de Poche, 1990, collection Lettres Gothiques. ("Édition bilingue")
|
Envoyez un courrier électronique à
cultureetreligions@free.frpour
toute question ou remarque concernant ce site Web.
|