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PESME AVENTURE


 

 

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LA COUTUME MALÉFIQUE DU CHATEAU DE

PESME AVENTURE:

 par Abderrazak HALLOUMI , ( professeur de lettres au Lycée Le Porteau, Poitiers, Diplômé en Sciences et Enseignement des Religions)

 

 

 

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TEXTE

Modalités pédagogiques

ORAL/

ANALYSE D’IMAGE

Savoirs communiqués ou découverts concernant un aspect religieux de la culture

activités

Savoirs découverts

 

 

 

LA COUTUME MALEFIQUE DU CHATEAU DE PESME AVENTURE:

 

- Résumé du passage

- Lecture méthodique de la complainte des tisseuses

 

 

- Le christ qui rejette les âmes captives hors de l’enfer

- La mythologie : histoire du minotaure et Thésé

 

 

 

 

 

Fiche professeur :  Etude détaillée

 

Selon Gérard Chandès, l'épisode de Pesme- Aventure constitue le deuxième centre du roman[1] (le premier est le combat du lion et du serpent- dragon. ) Loin d'être superflu comme le pensaient certains critiques de la fin du siècle dernier, cet épisode est déterminant pour comprendre Le sen que Chrétien a voulu donner à son roman: Pesme Aventure apporte la preuve que le héros atteint le terme de son initiation et "marque le point culminant de sa quête de rédemption spirituelle".[2]

 

Chez l'adaptateur gallois, cet épisode n'est pas senti de la même manière que chez Chrétien. En effet, le combat d'Owein contre le Noir oppresseur vient après la réconciliation avec la dame de la fontaine et perd par là toute sa valeur. On peut même dire qu'il est inutile et qu'il n'est rattaché qu'artificiellement à l'ensemble de l'intrigue,[3] alors que dans Yvain l'épisode de Pesme Aventure est complètement intégré dans la "conjointure" du roman. Il fait partie d'un tout et il est essentiel pour la logique du récit. Le considérer comme superfétatoire, c' est amputer le roman et négliger la "leçon" que Chrétien de Troyes veut faire passer, c'est à dire l'illustration des différentes étapes de l'initiation et de l'évolution d'Yvain. De ce point de vue, l'épisode de Pesme Aventure peut être perçu comme "le dernier étage" de l'ascension chevaleresque d'Yvain. I1 nous apparaît donc évident que ce n'est pas gratuitement que Chrétien fait faire à son héros un quatrième tour de spire de "1'hexagone logique"[4] et fait continuer son itinéraire qui est désormais placé sous le signe de l'épreuve glorifiante ou de "la lutte pour la communauté". L'épisode de Pesme Aventure apporte la preuve que le héros a atteint la maturité et a enfin compris quel rôle doit jouer un chevalier dans la société.

 

Avec l'épisode de Pesme Aventure, Yvain inaugure la séquence finale de son parcours: c'est là qu'a lieu le dernier affrontement contre les forces du mal et c'est là qu'il accomplit son action la plus significative et la plus glorifiante.  En effet, c’est seulement après cette épreuve qu'Yvain va réintégrer la cour d'Arthur et se jugera enfin digne de retourner auprès de sa femme.

 

Comme dans le cas de l'épisode de Harpin de la Montagne qui scinde l'épisode de Lunete en deux, Pesme Aventure est imbriquée dans l'affaire des deux sœurs de la Noire Espine. Cet enchâssement des deux épisodes donne plus d'importance à l'action d'Yvain: sa participation au duel judiciaire qui l'opposera à Gauvain à la cour d'Arthur, est subordonnée à 1'épreuve de Pesme Aventure. Yvain se doit donc de remporter ici la victoire car c' est la condition sine qua non pour être le champion de la cadette de la Noire Espine.

 

Au niveau du sens et de la structure, les deux épisodes sont étroitement liés "l'un emboîté dans l'autre (comme à la " spire"3) tombant donc respectivement en 0 (contre 1es deux démons) et en I (contre Gauvain), les deux grands combats terminaux d'Yvain ne sont qu'en position de "sub-contraires" - C' est qu'ils ont le même sens et sont liés contre le même adversaire: le mal".[5]

 

En effet, Yvain va combattre dans les deux cas des coutumes maléfiques: le tribut humain au château de Pesme Aventure et l'ordalie à la cour du, roi Arthur. Dans les deux cas, ces coutumes barbares font du tort à toute 1a communauté.

 

C'est en chevauchant en direction de la cour d'Arthur en compagnie de son lion et de la pucele, qu'Yvain rencontre l'aventure la plus mystérieuse et la plus fantastique. Le jour est sur son déclin quand les trois compagnons approchent du château de Pesme Aventure. L'accueil fait aux nouveaux venus est sinistre: 

 

"Mal veigniez, sire, mal veigniez!               5109

Cist ostex vos fu anseigniez

Por mal et por honte andurer

Ce porroit un abes jurer" .                      5112

 

Yvain ne prend pas en considération ces propos contraires aux lois et aux règles de l'hospitalité et se dirige vers le château mais il est de nouveau assailli par un flot d'insultes:

 

"Hu!Hu! Maleüreus, ou vas?                       5125

S'onques en ta vie trovas

sui te feïst honte ne let,

la ou tu vas t'an iert tant fet

que ja par toi n'iert reconté" .                 5129

Ne comprenant pas les causes d'un tel accueil, Yvain se met en colère et riposte à cette foule en délire. Une dame d'un certain âge 1'interpelle à son tour, justifie l'attitude des insulteurs, en lui expliquant qu'ils essaient par leurs menaces de le détourner d'entrer dans la forteresse pour demander le gîte et le couvert . La dame lui dit que c' est le moyen utilisé par les gens Pour dissuader les arrivants de pénétrer dans 1e château, sans pour autant oser le leur dire. En outre, elle l'informe qu'une coutume, à laquelle tout le monde est obligé de se plier, interdit aux gens d'accueillir chez eux des chevaliers étrangers:

 

"Et la costume est ça forstex                    5149

que nos n'osons a noz ostex 

hebergier, por rien qui aveigne,

nul preudome qui de fors veigne"               5152

 

Malgré tous ces avertissements et conseils, Yvain et ses compagnons se précipitent dans le château de Pesme Aventure: il n'en fallait pas plus pour tenter la curiosité et le courage notre preux chevalier.

 

L'attitude d'Yvain n'est pas sans nous faire penser à celle d'Erec qui, ayant décidé de tenter l'aventure de "la  Joie de la Cort", ne se laisse pas infléchir par les paroles de la foule qui admire sa beauté et le plaint:

A mervoilles l'esgardent tuit ;                  Erec, 5453 - 5477

La vile an fremist tote et bruit,

tant an conseillent et parolent;

nes les puceles qui querolent

lor chant an laissent et retardent.

Totes ansanble le regardent

et de sa grande biauté se saignent

et a grant mervoille le deplaignent.

" Ha ! Dex ! dit l'une a l'autre, lasse ! 

Cist chevaliers, qui par ci passe,

Vient a la Joie de la Cort.

Dolant an iert einz qu'il s'an tort :

onques nus ne vint d'autre terre

la Joie da la Cort requerre

qu'il n'i eüst honte et domage

Et n'i leissast la teste an gage. »

Après, por ce que il l'antande,

dient an haut : « Dex te desfande,

chevaliers, de mesavanture ;

car tu ies biax a desmesure,

et molt fet ta biautez a plaindre,

car demain la verrons estaindre :

a demain est ta morz venue ;

demain morras sanz retenue,

se Dex ne te garde et desfant."

 

La foule qui accueille le héros ne lui est pas hostile, elle lui manifeste même une certaine sympathie. Erec les entend, mais rien ne le fait changer d'avis: plus l'épreuve s'annonce dangereuse et plus il la désire de tout son cœur. De plus, ni Enide, ni Guivret, moins encore le roi Evrain, ne réussissent à l'en détourner.

Comme Erec, Yvain choisit délibérément, poussé par une  force mystérieuse, de tenter l'aventure de Pesme Aventure. Ecoutons sa réplique à la dame d'un certain âge:

"Dame, fet il, Dex le vos mire!                  5169

Mes mes fins cuers leanz me tire

si ferai ce que mes cuers vialt. "               5171

 

Quel besoin éprouve-t-il de tenter cette aventure? N'est- il pas plus simple qu'il continue son chemin pour rejoindre la déshéritée (la cadette de la Noire Espine), afin de faire triompher le droit et la justice? Peut-être a -t- il le sentiment que Pesme Aventure se distingue des autres épreuves par son caractère  mystérieux et qu'elle est aussi extraordinaire que l'aventure de la fontaine magique? Selon Bernard Marache, "la Pesme Aventure a aussi fonction de pendant à l'épreuve de la fontaine, Yvain peut y retrouver l'aventure perdue par sa faute."[6] Ainsi, Pesme  Aventure, dans le cas d'Yvain, apparaît comme une sorte de compensation à son premier échec. De plus, contrairement à l'aventure de la fontaine magique, Pesme Aventure est pour lui le fruit du pur hasard et elle correspond au sens premier du mot " aventure" (ce qui doit advenir, ce qui doit arriver, l'événement qui doit lui faire rencontrer son destin) . C' es t la grande aventure que Reto R. Bezzolo définit comme étant "une grâce accordée aux seuls élus, à ceux qui en sont dignes. " [7]

 

Il serait intéressant de comparer Pesme Aventure à l'épreuve finale d'Erec et Enide: "la Joie de la Cort". Les deux aventures semblent avoir des appellations en complète opposition, pourtant leurs issues ont une véritable communauté d'esprit: les deux héros de Chrétien entreprennent ces épreuves en faveur de la société. Dans les deux cas, leur victoire aboutit à l'abolition de la coutume et engendrent 1ibération et joie. 

 

L'action d'Erec va rendre la "joie" au peuple de Brandigan en levant l'interdiction qui dure depuis sept ans et qui l'empêche d'accéder au verger merveilleux où hiver comme été tes fruits sont mûrs. En tentant l'aventure, Erec rend le verger à la communauté et la "joie" à la cour du roi Evrain: vaincu, Mabonagrain à la fois protagoniste et victime de la coutume, n'a plus de raison de vivre retiré du monde avec son amie. Erec est un véritable héros civilisateur car "du fait de sa victoire sur Mabonagrain ( il ) met un point final à la coutume créée par un égoïsme arbitraire, reconduit lui-même dans le monde et délivre toute une communauté d'un charme fatal et de l'obscurcissement de la vie. "[8]

 

Yvain va aussi, grâce à sa prouesse et sa vaillance, rendre après un combat acharné contre les deux fils de "Netun", la liberté à trois cents pucelles. De sa victoire va naître la joie djeunes filles qui se retrouvent enfin délivrées après tant d'années de servitude et de misère, et la joie des habitants de l'île aux pucelles qui pourront après dix ans de souffrance, récupérer leurs enfants. Ce sera la joie de leur royaume, l'île délivrée de la pire des coutumes, c'est à dire celle du tribut humain et de la déportation. Le triomphe d'Yvain fait que la malédiction qui accable le château de Pesme Aventure est définitivement levée.

 

 

Voyons maintenant comment se présente l'épisode de Pesme Aventure: Yvain et ses deux compagnons entrent dans la forteresse, accueillis par un portier bourru qui cependant leur 1ivre passage. Bientôt se présente à leurs yeux un spectacle inattendu: Trois cents pucelles misérables sont enfermées dans un préau clos de gros pieux aigus, occupées à divers ouvrages de soie et de f ils d'or. La description que nous fait Chrétien de Troyes de cette scène est très touchante : les vêtements des jeunes filles sont déchirés et souillés, leurs visages amaigris et creusés par la faim. Leur condition appelle la pitié. Yvain s'émeut de ce spectacle et essaye d'interroger le portier pour en savoir plus à  leur sujet:

 

mes di moi, par l'ame ton pere,                  5220

dameiseles que j'ai veües

an cest chastel, don sont venues,

qui dras de soie et orfrois tissent,

et oevres font qui m'abelissent ?

qu'eles sont de cors et de vout

meigres, et pales et dolantes

si m'est vis que beles et gentes

fussent molt, se eles eüssent

itex choses que lors pleüssent."                 5230

 

Le portier refusant de le renseigner, Yvain découvre une porte qui lui permet d'approcher les tisseuses. Elles lui racontent la cause de leur présence et de la triste vie qu'elles sont contraintes de mener: dix ans auparavant, le jeune roi de "1'Isle as puceles", en quête d'aventure, a eu le malheur de passer par ce château où habitent deux monstres, nés des amours d'une  femme et d'un "netun". Ayant perdu le combat qui l'opposa aux deux "maufés", et pour se sortir d'un mauvais pas, le jeune roi s'engagea à envoyer chaque année un tribut de trente pucelles et cela jusqu'à ce que les deux monstres soient vaincus.

 

Les jeunes filles ont perdu tout espoir de recouvrer un jour la liberté. Mais leur misérable condition n'est rien comparée aux tourments que subissent les chevaliers hébergés dans ce château maudit et qui succombent sous les coups des deux diables. Les pucelles mettent donc Yvain au courant de ce qui risque de lui arriver car il subira certainement le même sort que ses prédécesseurs.

 

Yvain quitte les "puceles" et continue sa visite de la forteresse. N'ayant trouvé personne dans la "sale", les trois compagnons parviennent dam un verger où les attend un spectacle tout aussi inattendu que le premier, En effet, ils aperçoivent:

un riche home qui se gisoit                      5357

sor un drap de soie ; et lisoit

une pucele devant lui

en un romans, ne sai de cui;

et por le romans escoter

s'i estoit venue acoter

une dame; et s'estoit sa mere,

et 1i sires estoit ses pere ;                    5364

 

Yvain et ses compagnons reçoivent le plus courtois des accueils: tous les occupants du verger font fête aux nouveaux venus. La fille du "riche home" s'occupe particulièrement d'Yvain: elle lui lave elle-même les mains, le visage et le cou, et le revêt de riches vêtements. Yvain passe une agréable soirée en compagnie de ses hôtes qui se montrent fort agréables.

Le lendemain, après avoir passé une nuit paisible et entendu dans une chapelle une messe célébrée en l'honneur du Saint Esprit, Yvain demande congé à son hôte. Mais le "riche home" refuse de le laisser partir et lui réplique:

 

Je nel puis feire par reison :

En cest chastel a establie

Une molt fiere deablie

Qu'il me covient a maintenir.

 

Le châtelain explique à Yvain qu'il doit se mesurer aux "deus sergenz molt granz et forz". En cas de victoire, il pourra épouser sa fille et jouir de tous ses biens. Yvain refuse la proposition du "riche home" en lui répondant qu'il ne touchera ni à la fille ni à la terre. Mais le châtelain interprète le refus d'Yvain comme un signe de couardise (vers 5488) et lui signifie que le combat est inéluctable :

 

"Por rien eschaper ne s'an puet                 5494

nus chevaliers qui ceanz gise

se est costume et rante asise

qui trop avra longue duree

que ma fille n'iert mariee

tant que morz ou conquis les voie.               5499

 

 Yvain se résout à affronter les deux " sergenz" hideux et noirs qui surgissent, portant des bâtons et 1e corps protégé par une armure. En voyant le lion, ils exigent qu'on l'enferme dans une chambre. Yvain accepte et engage 1e combat entre les deux effrayants "maufés". Bientôt, il faiblit sous les coups et l'issue du combat n'est pas difficile à deviner. I1 est en grand danger quand son lion réussit à sortir de sa prison. L'animal se jette sur les ennemis de son maître et son intervention fait basculer les rapports de force: l'un des monstres est tué, l'autre demande merci.

 

Le "riche home" et sa femme acclament le vainqueur et lui offrent leur fille en récompense: ils insistent pour l'avoir comme gendre. Yvain refuse courtoisement. Tout ce qu'il accepte  c'est la libération des trois cents pucelles.

 

Yvain a accompli l'épreuve la plus glorifiante et la plus significative. Il a rendu "enor et joie" (vers 5334) à trois cents pucelles qui avaient perdu tout espoir de recouvrer un jour la liberté et qui n'hésitent pas maintenant à le fêter à l'égal d'un messie et à le comparer à Dieu! Chrétien nous dit:

… ne ne cuit pas qu'eles feïssent                5774

tel joie com eles li font

a celui qui fist tot le mont,

s'il fust venuz de cie1 an terre .              5777

 

Yvain dépasse la "simple" condition de chevalier pour atteindre une autre dimension. "A l'instar du Christ qui rejeta les âmes captives hors de 1'enfer, le chevalier arthurien est un libérateur. En ce sens aussi il devient un héros, et le chevalier Yvain rejoint Erec et Lancelot; le premier avait levé la malédiction du verger merveilleux et donné la joie de la cour à toute la contrée, le second avait réussi à délivrer les captifs et la reine Guenièvre au royaume de Gorre". [9]

 

Comme dans Erec et Enide, à la fin de l'épisode de "la Joie de la cort", les gens viennent acclamer 1e héros et regrettent leurs paroles et leurs insultes de la veille. Ils se réjouissent du succès d'Yvain car désormais ils "ne verront plus de jeunes chevaliers aller à la mort et ne souffriront plus du malheur des serves".[10]

 

 Si dans l'épisode de Harpin de la Montagne, Yvain a combattu le mal symbolisé par l'avidité et la haine sadique du géant qui incarne à merveille le personnage de l'ogre, il affronte à Pesme Aventure une autre facette du mal: la cupidité et l'exploitation. Au terme d'un combat difficile l'opposant à deux monstres, Yvain abolit une coutume[11] qui asservit la communauté. A l'instar de Tristan, par sa bravoure et sa vaillance il met fin à un odieux trafic d'esclaves. Les trente pucelles déportées tous les ans de "l'isle as puceles" (depuis que la coutume existe, c'est à dire  depuis dix ans) nous font penser aux jeunes gens de Cornouailles qui doivent être déportés pour servir les vils appétits matérialistes du Morholt et 1'aider à s'enrichir. Ecoutons ce qu'il fait savoir au roi Marc:

 

"Vous devez également lui dire ce que je désire avoir comme tribut:  je veux un enfant sur trois qui dans son pays sont nés les quinze dernières années. (. . .) Les garçons sont destinés à être mes serfs, et les demoiselles, je les mettrai dans mon bordel afin que matin et soir elles gagnent pour moi beaucoup d'argent". [12]

 

Un mot très intéressant ressort du discours du Morholt et qui met l'accent sur sa rapacité et sur son désir acharné du gain, c'est le mot argent.

 

Contrairement au Morholt dans le Tristrant d'Eilhart von Oberg, le "riche home" ne fait pas se prostituer les jeunes filles, mais il les exploite, d'une manière tout aussi condamnable, en les obligeant à tisser des fines étoffes dans leur prison nuit et jour. Il les fait "vivre" - si cela peut s'appeler "vivre" - dans un dénuement total alors que leur travail lui rapporte une somme énorme. Le "riche home" exploite la "costume" de Pesme Aventure afin de s'enrichir sans se soucier de la condition des jeunes filles. Il est 1'exact précurseur des capitalistes du XIXème siècle qui eux aussi, sans vergogne, exploitaient des masses de prolétaires. Le "riche home", outre sa cupidité a "aliéné"[13] les trois cents pucelles qui travaillaient pour lui: de leur complainte ne ressort aucune condamnation. Leur condition serait seulement meilleure si "le riche home" daignait les payer un peu plus ! :

Toz jorz dras de soie tistrons,                  5292

ne ja n'en serons mialz vestues;

toz jorz serons povres et nues

et toz jorz fain et soif avrons;

ja tant chevir ne nos savrons 

que mialz en aiens a mangier

Del pain avons a grant dongier

Au main petit, et au soir mains,

Que ja de l'uevre de nos mains

n'avra chascune par son vivre

que quatre deniers de la 1ivre;

et de ce ne poons nos pas

assez avoir viande et dras

car qui gaaigne la semainne

vint solz n'est mie fors de painne.

Mes bien sachiez vos a estros

que il n'i a celi de nos 

qui ne gaaint cinc solz ou plus.

De ce seroit riches uns dus !

Et nos somes ci an poverte,

s'est riches de nostre desserte

cil por cui nos nos traveillons.

Des nuiz grant partie veillons

Et toz les jorz por gaaignier,

qu'il nos menace a mahaignier

des manbres, quant nos reposons ;

et por ce reposer n'osons.                       5318

 

Cette partie de la "complainte" montre que les jeunes filles sont complètement dénaturées par 1a relation qu'elles entretiennent avec le châtelain de Pesme Aventure: elles ne cherchent en aucun cas à se révolter. ce qui les fait souffrir le plus, semble-t-il, ce n , est pas le fait d'être en captivité, mais plutôt le manque de richesse. A les entendre, on pourrait même supposer que leur vie serait agréable si elles avaient plus d'argent! Les tisseuses de Pesme Aventure sont complètement atteintes, elles aussi, par le virus de l'argent. Elles sont si totalement perverties qu'elles oublient leur triste condition de captives et adhèrent à l'idéologie "bourgeoise" véhiculée par le maître de Pesme Aventure.

 

La coutume de Pesme Aventure est maléfique dans la mesure où  elle favorise la cupidité, le règne de l'argent, la perte des valeurs morales et surtout l'aliénation de la communauté: cette coutume nuit à toute la société et ne répond qu'aux aspirations égoïstes et perverses d'un vil individu.

 

A travers cet épisode, Chrétien de Troyes semble pressentir les risques que court la société si elle ne fait rien pour s'opposer à la volonté de puissance de certaines personnes, qui ne pensent  qu'à s'enrichir (sur le dos des autres, évidemment ! ). Peut-être aussi il semble avertir la noblesse des dangers qui l'attendent si elle n'est pas assez vigilante face à la bourgeoisie montante, qui risque un jour de prendre totalement en charge le pouvoir économique et d'asservir toute la communauté.

 

C'est au château de Pesme Aventure que les deux mondes, la bourgeoisie symbolisée par "le riche home" et la noblesse représentée par le chevalier le plus parfait, sont en totale opposition. Pour le premier, tout ce qui compte c'est le profit, c'est l'argent; pour le second, 1'important c'est 1' attachement au bien, à la justice et aux valeurs morales: Yvain, c' est le héros qui cherche à faire régner la justice, à établir une société juste et à détruire tous les vices qui peuvent porter atteinte à la dignité humaine. C' est pour cette raison qu'il a refusé à deux reprises de s'associer aux affaires du "riche home" en rejetant la proposition d'un éventuel mariage avec sa fille, la première fois avant d'engager le combat contre les deux maufés

 

" Sire, fet- il, je n'en quier point.            5473

Ja Dex ensi part ne m'i doint,

et vostre fille vos remaingne,"                  5475

 

La seconde fois après sa victoire:

 

 "Et je, fet-il, la vos redoing.                 5697

Qui vialt, si l'ait ! Je n'en ai soing  

Si n'en di ge rien por desdeing :

Ne vos poist, se je ne la preing,

Que je ne puis, ne je ne doi.                    5701

 

Par ses deux refus (des terres et de la fille), Yvain montre qu'il n'est pas rentré dans 1e château de Pesme Aventure pour chercher un bénéfice personnel: s'il a dû combattre, c'est seulement pour mettre fin à la coutume du tribut humain et pour libérer les trois cents captives. En dédaignant les offres du "riche home", il donne encore une fois la preuve de son désintéressement et de ses hautes qualités morales: l'argent, cet objet aliénant, ne le tente pas.

 

Yvain ne pouvait pas participer au système pervers qui régit le château de Pesme Aventure et qui se base sur l'exploitation d'un grand nombre de personnes. Son rôle, c' est de modifier ces règles instaurées arbitrairement. De plus, il ne pouvait pas oublier ses engagements, d'abord vis à vis de Laudine qu'il s'était promis de rejoindre, ensuite vis à vis de la cadette de la Noire Espine dont il doit être le champion à  1a cour du roi Arthur.

 

L'épisode de Pesme Aventure marque le point culminant de l'apogée d'Yvain: son attitude renforce son caractère de héros civilisateur qui lutte pour la justice et pour l'élaboration d'une société idéale; sa conduite irréprochable prouve qu'il est maintenant digne d'être reconnu comme le meilleur puisqu'il a acquis toute la sagesse, la mesure et toutes les valeurs qui font de lui un chevalier juste et courageux assumant ses responsabilités vis- à- vis de la communauté, et qu'il a le droit de jouir de 1'amour de Laudine

 

 

Exploration détaillée

 

 

Questionnaire :

Pourquoi Yvain est-il mal accueilli par les gens des environs du château?
Décrivez les trois cents pucelles qui habitent dans le château?
Avec qui Yvain doit-il se battre pour délivrer les pucelles?
Qui vient à son aide?

Quel est le rôle de Pesme Aventure  dans le roman ? Quelle est la portée symbolique de cet  épisode ?

Trouver dans la mythologie des exemples de libérateur

 

 

Pour aller plus loin : Afin de compléter ce travail on peut  relier l’épisode de Pesme Aventure avec le mythe du Minotaure. On demande aux élèves de faire une recherche au CDI sur ce mythe.

 

-         Le mythe du minotaure

 


          

 

 

 

 

 

 

 

On ne peut parler de l'histoire du Minotaure sans parler longuement du roi Minos qui fut à l'origine de son enfermement dans un labyrinthe réputé inviolable. Voici donc l'histoire de Minos et du labyrinthe du Minotaure.

  • e roi Minos

Minos était le fils de Zeus et d'Europe. Il fut adopté ainsi que ses deux frères, Sarpédon et Rhadamanthe par Astérios, qui avait épousé Europe après que celle-ci ait arrêté sa relation avec Zeus. A la mort d'Astérios les trois frères se querellèrent pour savoir qui devait prendre la place du roi. La querelle pris fin lorsque Minos demanda à Poséidon de lui envoyer une victime pour le sacrifice, digne de lui, et le dieu fit sortir de la mer un magnifique taureau. L'animal était d'une telle beauté qu'il décida de ne pas le sacrifier. Malheureusement pour lui, sa femme, Pasiphaé, fille d'Hélios, tomba amoureuse du taureau et l'ingénieux Dédale, construisit un simulacre de vache sur sa demande dans lequel elle se cacha ; ainsi elle fut montée par le taureau.            

 

On raconte que Poséidon voulut se venger de la négligence de Minos ou qu'il s'agissait d'une manigance d'Aphrodite. Toujours en est-il, que Pasiphaé eut de nombreux enfants de Minos dont une fille du nom d'Ariane. Puis elle donna naissance à un monstre, fils du taureau, qui avait le corps d'un homme et la tête d'un taureau. Il fut nommé " le Minotaure" c'est à dire le taureau de Minos.

·         e labyrinthe de Cnossos

                            Minos, très contrarié demanda à Dédale, qui vivait à sa cour depuis qu'il avait été envoyé en exil après avoir tué un de ses neveux, de construire un labyrinthe à Cnossos pour pouvoir enfermer le monstre.
Tous les neuf ans il faisait donner en sacrifice au Minotaure 7 jeunes garçons et 7 jeunes filles destinés à le nourrir.
L'oracle de Delphes avait déclaré que seul le paiement de ce tribut pourrait délivrer la peste de la ville d'Athènes.
Peste, que Minos avait fait soit disant apparaître contre elle car il lui en voulait pour la mort d'un de ses enfants.

·        hésée

Plus tard, Thésée vint en Crète, faisant partie des victimes destinées au Minotaure. Il tua le monstre et enleva Ariane, la fille de Minos qui l'avait aidé. Dédale prit d'ailleurs part à cet exploit car c'est lui qui eut l'idée du peloton de fil grâce auquel Thésée put s'échapper du labyrinthe. Pour le punir, Minos l'y enferma avec son fils Icare. Dédale trouva un moyen pour s'en échapper en fabriquant des ailes avec de la cire et des plumes, tous deux s'envolèrent, mais Icare mourut en tombant.

 

 

Le Minotaure (en grec Μινταυρος Minốtauros) est un monstre fabuleux à corps d'homme et tête de taureau apparaissant dans la mythologie grecque. On l'appelle aussi Astérion, du nom de son grand-père.

Il naît de l'union entre Pasiphaé, fille d'Hélios et épouse de Minos, roi de Cnossos, et un taureau blanc envoyé par Poséidon (voir Minos). Pasiphaé, maudite par Poséidon parce que Minos refusait de lui sacrifier le taureau qui lui était promis, cherche à s'accoupler avec l'animal. Elle y parvient grâce à un simulacre de vache que lui confectionne Dédale. Honteux de la progéniture, Minos fait enfermer le fruit de cette union dans le Labyrinthe, bâti par le même ingénieur.

Tous les neuf ans, sept jeunes gens et sept jeunes filles lui sont envoyés, en expiation du meurtre d'Androgée, fils de Minos, par Égée, roi d'Athènes. Une année, Thésée, fils d'Égée, embarque parmi les jeunes gens destinés au sacrifice. Aidé par Ariane, fils de Minos, Thésée tue le Minotaure.

Les Crétois minoens, on le sait par des fresques murales, par exemple, adoraient un dieu tauriforme. Le Minotaure en est peut-être un reflet déformé.

Un thème artistique

La bataille entre Thésée et le Minotaure est un sujet fréquent dans l'art antique, particulièrement sur la céramique. Les arts plastiques occidentaux s'en sont aussi fait l'écho, avec Rodin, Minotaure ou Picasso, Thésée tuant le Minotaure.

La littérature s'est aussi emparée du sujet, faisant de la rechercher du Minotaure au fond du labyrinthe une épreuve initiatique visant à détruire le monstre bestial qui se cache en chacun de nous. Borges, dans sa nouvelle « La demeure d'Astérion » (in L'Aleph), revisite le mythe en faisant du Minotaure un être innocent quoiqu'apparaissant quelque peu monstrueux et se laissant tuer par un Thésée relégué au rang de personnage secondaire, décrit dans le monologue du Minotaure comme un sauveur venu le délivrer.

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Minotaure

 

 

 

-         Des représentations du combat de Thésée contre le Minotaure

Sculptures françaises
 Dimensions : 30 cm x 45 cm x 18 cm
Date : 1843

Artiste : Antoine-Louis Barye

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Art béotien. Tanagra. Skyphos à figures noires :
La lutte de Thésée contre le Minotaure ; à gauche : Ariane (tenant le fil, symbolisé par une forme en spirale) ; à droite : deux rangées de personnages, masculins et féminins, les victimes destinées au Minotaure. Autre face : un cavalier et un personnage ailé (Dédale ou Icare ?)
D. 16,4 cm.
Vers 550 avant J.-C. 

Musée du Louvre, MNC 675.

 


 

 

[1] Cérard Chandès: op .cit. p.292: "le roman d'Yvain possède deux centres, 1'épisode du 1 ion affronté au serpent et celui de Pesme Aventure" .

[2] Monique Santucci : Amour, mariage et Transgression dans chevalier au Lion ou il faut transgresser pour progresser. dans  Amour, mariage et transgression au Moyen Age. Colloque d'Amiens 1983, paru en 1984 p.167. L'auteur cite,  Peter S. Noble ( Love and Marriage  in Chrétien de Troyes, Cardiff, university of Wales Press, 1982, p.52): Pesme Aventure marque " the climax of bis quest for spirituel redemption" .

[3] Dans Owein ou le conte de la dame de la fontaine, la dernière épreuve du héros ne fait pas partie intégrante du conte: 1'adaptateur gallois n'ayant pas su quoi faire de l'épisode de Pesme Aventure, le résume d'une manière  aberrante (tout en supprimant 1'histoire des deux filles de la Noire Espine) et le place la fin de son récit sans aucun lien visible avec 1'ensemble du conte. Contrairement au roman de Chrétien, le conte de la dame de la fontaine ne fonctionne qu'en trois spires:

-         une situation initiale

-                                                         une épreuve qualifiante

-         une épreuve principale 

Chez l'adaptateur gallois, rien n'est gardé du sens que Chrétien voulait donner à son roman.

[4] Pierre Gallois: Yvain et la logique "hexagonale" de l'Imaginaire: art. cit.

[5] Pierre Gallais: Yvain et la logique. . - - , art. cit.,  Pris-Ma IV, 1, p.49 P. Gallais définit ce "mal" qui selon lui est plus à mettre du côté mazdéen que du côté chrétien. Cf. en outre la note 100.

[6] Bernard Marache: le mot et la notion d'aventure dans la "conjointure" et le "sen" du chevalier au lion. Dans le chevalier au lion…approches d'un chef d'œuvre. op. cit.. p.132

 

[7] Reto R; Bezzola: Le sens de l'aventure et de l'amour. Op .cit. p.l93

[8] Erich Kölher: Le rôle de la coutume dans les romans de chrétien de Troyes. Dans Romania, LXXXI, 1960, p.393

[9] Philippe Walter: Moire et mémoire du réel chez Chrétien de Troyes. La complainte des tisseuses dans "Yvain". dans  Littérature, 59,  1985 p.80

[10] Jean Subrenat: Pourquoi Yvain et son lion ont-ils affronté les fils de netun ?  Dans le chevalier au lion… approches d'un chef d'oeuvre. Op. Cit.p.184

[11] Erich Köhler, dans Le rôle de la coutume… (art. cit. p.393) définit ce type de coutume de la manière suivante: "leur origine nous est presque toujours connue, elles sont instituées arbitrairement et peuvent être aboli es par le haut fait des protagonistes. Presque toujours leur abolition est à la fois une aventure de délivrance, sinon de rédemption- Cette délivrance constitue dans les romans de Chrétien la grande aventure terminale".

[12] Eilhart von Oberg: Tistant. Texte étab1i et présenté par Danielle Buschinger et Wolfgan Spiewok. Série "bibliothèque médiévale". Paris, 10/18, p.53-54.

[13] Cf. Pierre Gallais: littérature et médiatisation, réflexion sur la genèse du genre romanesque. art. cit.

Remonter
LES HORIZONS D
La Structure du roman
Calogrenant
LA FONTAINE MAGIQUE de Barenton
La rencontre avec le lion
PESME AVENTURE
La Fin du roman
Bilan de la séquence

 

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Dernière modification : 03 janvier 2008