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La fin du conte


 

 

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La fin du conte

 


 

 

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Savoirs communiqués ou découverts concernant un aspect religieux de la culture

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La fin du conte :

 

-La transgression de l’interdit

- Le sacrifice  la Reine des serpents

- L’initiation de Hasib

 

 

 

-         le sacrifice rituel

-         Les rites iniatiques

 

 

La fin du conte sera étudiée selon trois axes :

1.      Le retour de Hassib sur Terre : Le pacte et la transgression de l’interdit.

 

La reine des Serpents autorise Hassib  à rentrer chez lui moyennant une  nouvelle promesse  de ne jamais entrer dans un hammam (un  bain public). La reine le renvoie sur terre sous la conduite d'un serpent.

Bien accueilli par sa mère et sa femme, il fait annoncer son retour à ses compagnons. Ceux-ci, qui se sont enrichis (grâce au miel découvert dans la caverne), lui font chacun cadeau de la moitié de leur fortune.

 

Hassib devient l’un des plus grands commercants de la ville. Il fait partie des notables. Un jour, Hâsib, qui a toujours refusé d’aller au bain, s'y laisse entraîner parce qu'un commercant jure que, s'il n'y entre, il répudiera par trois fois ses femmes.

 

(On pourra  aborder un fait de civilisation : la répudiation qui subsiste encore dans plusieurs pays musulmans. C’est une occasion d’aborder la question du mariage et du divorce dans les pratiques des trois religions monothéistes.  Nous nous appuierons sur un article de l’Express  faisant partie d’un dossier intitulé : Les religions au banc d'essai Le retour de la spiritualité[1]

 

 

 

 

Les religions au banc d'essai

Le retour de la spiritualité

 

 

L'Express du 28/03/2002
Le mariage

par Marion Festraëts, Cédric Gouverneur, Laurent Védrine


 

§          Catholiques

C'est l'un des sept sacrements de l'Eglise. Cette cérémonie symbolise les noces entre les époux et le Christ, qui s'engage avec eux pour être la source spirituelle de leur amour. Ce sont les époux eux-mêmes qui, en échangeant leurs consentements, se donnent les sacrements. La présence du prêtre n'est d'ailleurs obligatoire que depuis le XIIIe siècle. L'Eglise accepte depuis le siècle dernier les conjoints non croyants ou non baptisés. Les liens du mariage étant réputés indissolubles, l'Eglise catholique réprouve le divorce. Les divorcés remariés sont exclus de la communion. Si beaucoup de prêtres et d'évêques expriment leur solidarité avec eux, Jean-Paul II a appelé encore récemment avocats et juristes catholiques à ne pas s'impliquer dans les procédures de divorce. Seule solution pour les divorcés catholiques: demander la reconnaissance en nullité du premier mariage. Une procédure complexe, réservée à des cas rares.

§         
Orthodoxes

C'est un sacrement, fondé sur la communion de la vie et de la responsabilité que vont partager les époux. Non-croyants et non baptisés sont acceptés. Fastueuse et joyeuse, la célébration commence par les fiançailles à l'entrée de l'église, avec échange des alliances. Les fiancés se tiennent par un ruban, avant de partager la coupe - en renverser une seule goutte est de mauvais augure. Le pope donne le sacrement du mariage. Les époux sont alors couronnés afin de rappeler le martyre du Christ. Les mariés et leurs témoins accomplissent ensuite une procession circulaire autour de l'autel, symbole de l'éternité de leur engagement. Le divorce est toléré. Le fidèle devra faire une demande de pardon et observera un temps de pénitence. Contrairement au Vatican, les églises orthodoxes acceptent en principe un remariage ultérieur, voire une troisième chance. L'évêque juge en fonction des circonstances.

§         
Protestants

Le mariage n'est pas un sacrement mais une simple bénédiction qui suit l'acte civil. Après la signature du registre, le cortège entre dans le temple pour une cérémonie d'environ une heure: lecture de textes saints, prières et consentement mutuel. La cérémonie, plus simple que dans les autres confessions chrétiennes, insiste sur le contenu du message prononcé lors de la prédication. L'Eglise protestante n'exclut pas l'éventualité du divorce et accepte généralement de bénir une seconde union.

§         
Musulmans

Sans préparation ni formalisme, le mariage musulman ne prend pas plus d'un quart d'heure. Le mari doit obligatoirement être musulman mais l'épouse peut être issue d'une autre religion. A la mosquée ou chez les parents de la mariée, l'imam consacre l'union devant la famille et les amis. La mariée doit être accompagnée de son tuteur (père, frère, oncle) et de deux témoins. Elle peut être absente de la cérémonie, si son consentement écrit est produit par le marié. L'époux annonce la dot qu'il destine à la famille. L'imam prononce alors la fatiha, le verset d'ouverture du Coran. Le mari pose sa main droite sur la tête de son épouse, comme le fit le Prophète, et dit: «Ô Allah! Accorde-moi les bienfaits pour lesquels cette femme est créée et préserve-moi des méfaits pour lesquels elle est créée.» La fête doit durer trois jours au minimum. La consommation du mariage doit avoir lieu au mois de chawwal (dixième mois du calendrier islamique, le mois suivant le ramadan). La polygamie, limitée à quatre épouses, est une pratique préislamique tolérée. Le mariage musulman se défait aussi simplement qu'il se célèbre. Mais le divorce est «la chose admise la plus détestée de Dieu», dit le Coran. Seul l'homme en a l'initiative, en prononçant trois fois la formule «Je te répudie». Dans les faits, certains pays musulmans, comme la Turquie, la Tunisie, le Pakistan, le Mali et le Sénégal, ont interdit la répudiation.

§         
 Juifs

Le mariage est un idéal de réalisation personnelle - «Tout célibataire vit sans joie», «Un homme sans femmes n'est qu'une moitié d'individu», dit le Talmud. Dans la tradition, la femme du rabbin prépare la mariée à sa future vie d'épouse. La veille du mariage, la fiancée se rend avec son entourage féminin au mikvé, le bain rituel de purification, à l'issue duquel elle reçoit une attestation indispensable à la célébration du mariage. Le shabbat précédant la cérémonie, les futurs époux se rendent à la synagogue pour recevoir la bénédiction divine sur leur foyer. Le jour J, à jeun, les promis sont installés sous un dais: l'alliance est remise à la jeune femme, puis on lit la ketouba - le contrat de mariage, qui fixe les devoirs de l'époux envers sa femme et les modalités d'une éventuelle séparation. Le public entonne le chant des sept bénédictions, et on brise des verres pour symboliser la destruction du Temple de Jérusalem ainsi que la fragilité du bonheur terrestre. Attention: le nombre de verres cassés augure de la prospérité et de la félicité des jeunes mariés. Le divorce est licite mais désapprouvé.

On rappellera ici aux  élèves que le conte de Hassib suit un scénario classique du conte de fée[2] . Pour ce faire, nous ferons un parallèle avec la littérature française médiévale à travers deux exemples, à savoir le Lai de Lanval[3] et le Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes.

La transgression de l’interdit dans Yvain :

Voyons comment cet épisode est décrit dans le roman :

Un jour, alors qu'il était de nouveau à la cour d'Arthur après une longue campagne de tournois, Yvain songe à sa femme  (la première fois depuis son départ) et réalise qu'il n'a pas tenu sa promesse. Et à ce moment précis, une dameisele montée sur un palefroi noir arrive précipitamment à la cour. C'est la messagère de Laudine, qui salue Arthur, Gauvain et toute la cour à l'exception d'Yvain "le menteur, le trompeur, le déloyal, le fourbe qui l'a trompée et abusée".  Laudine signifie publiquement sa rupture avec Yvain. ce dernier n'a pas été à la hauteur de son amour. Elle l'a attendu vainement et fidèlement alors que lui l'a dédaignée. Mais désormais tout est fini entre eux. Yvain doit rendre l'anneau qui était le symbole de leur amour et de leur union. Yvain est abasourdi par ce malheur qui fond sur lui. Il doit fuir pour cacher sa douleur et sa honte. Il aurait préféré que la terre l'engloutisse car seule la mort est capable d'effacer ses tourments. Il quitte la cour en courant, traverse les champs pour se réfugier au fin fond de la forêt.

 

La rupture avec Laudine était inévitable. Yvain a transgressé l'interdit: en ne revenant pas au terme de l'année, il rompt son engagement et la dame a le droit de le punir en lui retirant confiance et amour. Yvain est coupable et ce n'est que justice si Laudine le punit. Tous les torts sont du côté d'Yvain car sa femme l'avait averti que les conséquences seraient irrémédiables et que son courroux serait sans 1imite:

Mes l'amors devanra haïne

Que j'ai en vos, toz an soiez

Seürs, se vos trespassïez

Le terme que je vos dirai;

Sachiez que ja n'en mantirai:

Se vos mantez, je dirai voir.

L'interdit qu'a posé Laudine à Yvain correspond exactement à l'interdit imposé par la fée au mortel qui jouit de ses faveurs[4] : son amant a tous les droits sauf celui de transgresser l'interdit. C'est le scénario que nous trouvons dans le Lai de Lanval: si Lanval dévoile da relation avec la fée il risque de ne plus la revoir:

 

" Amis, fet ele, or vus chasti,                  143

Si vus cornant e si vus pri :

Ne vus descovrez a nul humme

De ceo vus dirai ja la summe :

A tuz jurs m'avriez perdue,

Si ceste amur esteit seüe :

Jamés nem purrïez veeir

Ne de mun cors seisine aveir."                   150

Comme Yvain, Lanval n'a pas respecté la volonté de sa dame: il a transgressé l'interdit et il perd par-là toutes les faveurs accordées par la fée-

 

La ressemblance entre nos deux héros est grande - Tous deux après la punition imposée par leurs dames respectives ont vécu des moments difficiles - Ils en viennent parfois à souhaiter la mort pour se punir de leurs méfaits:

·         Lanval:

Lanval i vet od sun grant doel;        357

                  Il l'eüssent ocis sun veoil!                 358

 

·         Yvain

Ne het tant rien con lui meïsme,       2792

                  Ne ne set a cui se confort

                  De lui qui soi meïsme a mort.           2794

Nos deux héros ont commis un péché: c' est contre Amour qu'ils ont failli. Il ne leur reste plus que le repentir. Leur douleur est accablante et leur expiation sera longue et difficile avant de pouvoir jouir à nouveau des joies de l'amour.

 

Hasib, malgré lui transgresse l’interdit et viole le pacte qui le lie à la reine des serpents. Cependant, contrairement à Yvain et Lanval, il ne perd pas l’amour d’une fée, même si sa vie, lui aussi, sera complètement transformée par la suite.

 

2.Le sacrifice de la reine des serpents : un rite initiatique

Cette transgression de l’interdit dans le cas de Hasib est annoncée et écrite de tout temps :

-         C’est la prophétie que le grand vizir connaît :

Le grand  vizir se fit alors venir un livre, l'ouvrit, le feuilleta un moment avant d'y lire ce passage : « La reine  des serpents rencontrera un homme qui séjournera ­chez elle deux années. Il s'en retournera et reviendra à la surface de la terre. S'il entre au hammam, son ventre noircira. »

(On pourra aborder  aussi le personnage du vizir qui représente ici la figure du mal : «  c’était un sorcier rusé et un devin qui savait l’art de la magie et bien d’autres choses. »

-         la reine des  serpent savait que la violation du pacte faisait partie de son destin.. Elle se plie à la volonté divine

Alors surgir du puits un serpent aussi grand qu'un éléphant  dont les yeux et la gueule jetaient des étincelles. Il portait sur le dos un plateau d'or incrusté de perles et de pierres précieuses. Sur ce plateau se tenait un serpent dont l'éclat illuminait les lieux. Il avait visage   humain et parlait la plus belle des lan­gues. C’était la Reine des serpents. Elle regarda autour d’elle  et ses yeux se fixèrent sur Hâsib :

_ Qu'as-tu fait de ta promesse? N'avais-tu pas juré de ne jamais entrer au hammam ? Maïs aucune ruse ne déjoue le destin. Et l'on ne saurait fuir ce qui est, sur notre front, écrit. Dieu a mis ma vie dans tes mains. Ainsi en  a-t-Il jugé. Sa volonté est que je périsse et que Karazdân guérisse.

(…)

- Approche, viens me prendre en tes mains a dépose-moi sur ce plateau pour le porter sur ta tête. Ma mort, par tes soins, est décidée de toute éternité Aucune ruse n'y fera.

(….)

Et maintenant écoute bien. Si tu as rompu ta  promesse, trahi ton serment, agi comme tu l'as fait sache que cela était décidé de tout temps.

 

 

La cérémonie du sacrifice :

 

- Approche, viens me prendre en tes mains a dépose-moi sur ce plateau pour le porter sur ta tête. Ma mort, par tes soins, est décidée de toute éternité Aucune ruse n'y fera.

Hâsib se saisit d'elle, la plaça sur le plateau qu'il prit sur la tête. Le puits se referma et redevint ce qu'il était. Le cortège s'ébranla, Hâsib portant toujours son plateau. En cours de route, la Reine des serpents lui di:

- Et maintenant écoute bien. Si tu as rompu ta promesse, trahi ton serment, agi comme tu l'as fait sache que cela était décidé de tout temps. Lorsque nous arriverons dans la demeure du grand vizir, il va t'ordonner de m'égorger et de me découper en trou morceaux. Refuse absolument. Dis-lui que tu ne sais pas égorger afin qu'il soit contraint de le faire lui- même et d'exécuter ainsi son projet. Lorsqu'il m'aura égorgée et découpée, un envoyé du roi Karazdân. viendra lui commander de se rendre auprès du souve­rain. Il déposera ma chair dans une marmite de cuivre qu'il placera sur un brasero avant de se rendre à la convocation du roi. Il t'intimera l'ordre d'allumer le feu sous la marmite et de laisser bouillir la viande jusqu'à la première écume, de recueillir cette écume et de la mettre dans une fiole. Il te dira d'attendre que le liquide se refroidisse pour le boire afin que plus aucun mal n'atteigne jamais ton corps. Il te dira d'attendre ensuite l'apparition de la deuxième écume, de la recueillir, de la verser à son tour dans une fiole et de la lui garder afin qu'il la boive pour se guérir d'un mal dont il souffre à la colonne vertébrale. II te donnera donc deux fioles et s'en ira chez le roi.

Après son départ, allume le feu, recueille la première écume, verse-la dans une fiole et garde-la par-devers toi : surtout n'en bois pas sous peine de mort. Dès que la deuxième écume apparaîtra, verse-la dans une fiole, Attends qu'elle refroidisse et bois-la. Lorsque le grand vizir  reviendra, il te demandera la fiole de la deuxième écume, donne celle de la première et regarde ce qui lui arrivera.

Et l'aube chassant la nuit, Shahrâzâd dut interrompre son  récit.

Lorsque ce  fut la cinq cent trente-cinquième nuit, elle dit:

On raconte encore, Sire, ô roi bienheureux, que la reine e des serpents recommanda bien à Hâsib Karîm ad-Dîn de ne point boire de la première écume et de se réserver ta seconde :

Lorsque Shamhûr reviendra de chez le roi, ajouta-t-elle, et te demandera la seconde fiole, donne­-lui la  première et attends de voir ce qui se passera. Ensuite, bois la seconde fiole et ton coeur deviendra pareil  à la maison de la Sagesse. Tu recueilleras ma chair  et en disposera les morceaux dans un plateau de cuivre. Donnes-en à manger au roi. Lorsqu'il l'aura avalée, couvre son visage d'un châle et attend près de lui jusque vers midi. Son ventre se sera refroidi, tu pourras alors lui donner à boire. Il retrouvera sa santé et guérira de sa maladie grâce à Dieu Tout-Puissant. J’espère que tu as bien écouté mes paroles et que tu suivras en tout point mes recommandations.

 

  NB : pour la démarche globale nous renvoyons Nous renvoyons ici à la séquence d’apprentissage sur le thème du sacrifice élaborée dans le cadre du laboratoire d’anthropologie culturelle de l’Université catholique de Lyon[5]. Ce travail donne des pistes intéressantes d’aborder tout l’aspect théorique sur le thème du sacrifice ainsi que d’autres textes issus de la littérature.

On étudie de facon détaillée  la cérémonie du sacrifice qui est réglée dans le moindre détail par la reine des serpents en personne. Tout est écrit d’avance comme dans une tragédie ! En effet le passage nous donne des éléments précis que nous relèverons avec les élèves :

-         Le sacrificateur sera le vizir et non pas Hâsib

-         Le corps de reine des serpents sera découpé en trois  morceaux puis sera mis à cuire dans une marmite de cuivre

-         Hasib fera  cuire, sur l’ordre du vizir,  la chair de la reine

-         Lorsque le tout arrivera à ébulition, la première écume sera donnée au vizir et la deuxième sera mise à refroidir et bue par Hâsib

-         La chair de la reine, une fois cuite, sera placée sur un  plateau de cuivre et donnée à manger au roi malade….

Quel sens donner au sacrifice de la reine des serpents ?

Le sacrifice de la reine aboutit aux résultats attendus :

-         disparition du vizir  qui incarne le mal et qui a essayé de perdre le jeune homme. Tel est pris celui qui croyait prendre !

-         guérison du roi qui nomme Hâsib  grand vizir et lui confère un rang plus haut que celui occupé par son prédecesseur.

Mais l’essentiel est ailleurs ! Voyons comment le texte l’évoque :

 

Le méchant  homme qui cherchait à le perdre ne fournit aucune  explication au jeune homme et lui demanda de lui  donner la deuxième fiole pour la boire et se guérir de  ses douleurs à la colonne vertébrale. .Hâsib lui presanta la première fiole. À peine en avait-il bu quelques  gorgées qu'elle lui tomba des mains et qu’il se mit à gonfler d'oedème. Ainsi fut pris qui croyait prendre. En voyant le terrible effet ainsi provo­qué, Hâsib se mit  à craindre de boire la deuxième fiole. Puis il se souvint des recommandations de la Reine des serpents et se - dit : « Si le contenu devait être nocif, le grand vizir ne l'aurait pas choisi pour lui. » Et se recommandant à  Dieu, il but au breuvage.

 

Alors Dieu fit  jaillir en son cœur toutes les sources de la sagesse.  Il lui ouvrit les voies du savoir et emplit son âme  de joie et  de béatitude. Le fils de Daniel prît la chair dans la marmite, la déposa sur un plateau de cuivre  et sortit de la demeure du grand vizir. Il leva la tête et aperçut les sept cieux jusqu'au jujubier de la  limite extrême. II perçut le secret de la gravitation des astres. Grâce à la volonté de Dieu, il vit les planètes et  les étoiles fixes et comprit le principe de la révolution des des astres. II observa la configuration des terres et la répartition des mers. II découvrit ainsi la géometrie, l’astrologie, l'astronomie, la science des sphères ,  l'arithmologie et tout ce qui touche à ces savoirs. De la  même façon, il fut au fait de ce qui relève des éclipses de la lune et du soleil.

Il regarda ensuite vers la terre et eut connaissance de tous les métaux qu'elle contenait, de tous ses arbres et de toutes les  plantes qui y poussaient. Il apprit ainsi ses particularités  et tout ce qu'elle présente d'utile pour l’homme.  Il se pénétra dès lors des savoirs de la médecine, de la physiognomonie, de l'alchimie, acqué­rant le secret de la  fabrication de l'or et de l'argent.

 

- A travers l’étude du passage,  nous réalisons que Hâsib se métamorphose ! En effet, dès qu’il a bu   la deuxième écume, «  Dieu fit  jaillir en son cœur toutes les sources de la sagesse.  Il lui ouvrit les voies du savoir et emplit son âme  de joie et  de béatitude »

Il accède à tous les savoirs en deux mouvements : dans le texte on relèvera toutes les sciences : géometrie, l’astrologie, l'astronomie, la science des sphères ,  l'arithmologie, la médecine, de la physiognomonie, de l'alchimie.

 

-         Il lève la tête vers le ciel : « Il … aperçut les sept cieux jusqu'au jujubier de la  limite extrême. II perçut le secret de la gravitation des astres. Grâce à la volonté de Dieu, il vit les planètes et  les étoiles fixes et comprit le principe de la révolution des  astres. II observa la configuration des terres et la répartition des mers. II découvrit ainsi la géometrie, l’astrologie, l'astronomie, la science des sphères ,  l'arithmologie et tout ce qui touche à ces savoirs. De la  même façon, il fut au fait de ce qui relève des éclipses de la lune et du soleil. »

-         Il regarde vers la terre « Il … eut connaissance de tous les métaux qu'elle contenait, de tous ses arbres et de toutes les  plantes qui y poussaient. Il apprit ainsi ses particularités  et tout ce qu'elle présente d'utile pour l’homme.  Il se pénétra dès lors des savoirs de la médecine, de la physiognomonie, de l'alchimie, acqué­rant le secret de la  fabrication de l'or et de l'argent.

Ainsi, hâsib accède à la connaissance ultime. Tout se dévoile à lui par révélation. Rien ne lui échappe de l’organisation du cosmos et de l’univers.

  1. La fin du conte :

Et voilà que Hâsib, qui était parfaitement ignorant e t ne savait même pas lire, devint maître de tous les savoirs par la grâce de Dieu. L'étendue de ses connaissances et de sa sagesse fut de notoriété dans tous les pays. Il devint célèbre pour posséder parfaitement la médecine, l'astronomie, la géométrie, l'alchimie, la physiognomonie, la magie et autres sciences.

Il dit un jour à sa mère :

- Mon père, Daniel, était un grand savant. Quels sont donc les livres et autres écrits qu'il m'a laissés ? Lorsque sa mère eut entendu sa demande, elle alla quérir le coffret où son époux avait placé les cinq feuillets sauvés du naufrage où i1 avait perdu sa bibliothèque.

- Ton père n'a rien laissé d'autre que les feuillets qui sont dans ce coffret.

Hâsib ouvrit le coffret, prit les feuillets et dit :

- Mère, il ne s'agit là que de feuillets. Où est le restant des livres de Daniel ?

- Lorsque ton père a pris la mer, il les a emportés avec  lui. Son bateau a fait naufrage et de toute sa bibliothèque, il n'a pu sauver que ces feuillets. Lorsqu’­il est revenu de son voyage, j'étais enceinte de toi. Il m’a  dit : « Peut-être vas-tu avoir un garçon. Prends ces cinq  feuillets et garde-les précieusement. Lorsque l’enfant aura grandi, il te demandera ce que je lui ai laissé. Remets-les-lui et dis-lui que je n'ai rien laissé » Les voici donc.

Hâsib  se plongea dans sa lecture et au bout de toute une nuit  il comprit que son père avait résumé toute la science du monde en quelques pages.

Après cela, Hâsib Karîm ad-Dîn passa la plus agréable des existences à se délecter des mets les plus fins, à boire  des plus suaves boissons et à vivre au sein de l’abondance jusqu'à ce que l'atteigne le décret de Celui qui met un terme aux plaisirs et disperse les assemblées. Voilà, telle qu'elle nous est parvenue, la l'histoire de Hâsib, fils de Daniel, que Dieu l'ait en Sa miséricorde.

 

La boucle est bouclée : « Et voilà que Hâsib, qui était parfaitement ignorant e t ne savait même pas lire, devint maître de tous les savoirs par la grâce de Dieu. L'étendue de ses connaissances et de sa sagesse fut de notoriété dans tous les pays. Il devint célèbre pour posséder parfaitement la médecine, l'astronomie, la géométrie, l'alchimie, la physiognomonie, la magie et autres sciences. »

On amènera les élèves  à travers la lecture des dernières lignes du récit  à percevoir la leçon du conte : c’est Dieu qui accorde la connaissance. C’est lui qui donne et qui accorde sans compter. Le texte parle de lui-même.

Cependant, même si le conte est « islamisé », on ne peut pas s’empêcher de penser de voir dans le parcours de Hâsib une sorte de rite  initiatique de type chamanique :

-         le sacrifice rituel amène Hâsib à boire une potion( un philttre) qui contient la substance d’un être mesurnaturel. Il devient en quelque sorte le dépositaire de l’être de la reine des serpents.

-         Le conte porte en lui des traces de mythes anciens.  On pourra relever  quelques exemples en nous appuyant sur une analyse Bencheikh[6] et qui nourrira notre réflexion.

Dans son ouvrage sur Les racines historiques du conte  merveilleux, Vl. Propp consacre un long chapitre (VII) au dragon du conte russe. Il rassemble de nombreuses observations d'une très grande utilité pour nous, notamment celles qui touchent à l'avalement et à la régurgitation rituels. On peut ainsi aboutir à des conclusions intéressantes.

La fosse dans laquelle descend Hâsib peut représenter la gueule du dragon qui avale l'initié avant de le digérer et de le recracher homme nouveau après qu'il a accédé aux secrets du monde.

Propp note, d'après une étude de P. Elkin sur The Rainbow­ Serpent Myth in North-West Australia, qu' « en Australie le candidat chamane se jette dans un lac prétendument infesté de serpents monstrueux qui le " tuent ". Il tombe malade, perd la raison et acquiert ainsi la puissance » (p. 301). Ce combat régénérateur avec des serpents aquatiques est attesté aussi chez les Indiens de Californie.

Le séjour de Hâsib parmi les serpents du lac s'inscrit dans ce schéma d'initiation. II ne faut pas oublier que la reine des serpents retient Hâsib de force jusqu'à ce qu'elle termine le récit de Bulûqiyyâ. Il peut y avoir là le souvenir d'un rapt rituel qui précède l'initiation.

L'acquisition de l'omniscience après avalement rituel est attestée dans de nombreuses aires culturelles. À cette occasion, Vl. Propp remarque que « l'entendement de la langue des oiseaux s'acquiert de deux façons opposées : ou bien le héros est avalé et recraché; ou bien, au contraire, c'est lui qui mange ou suce un morceau de serpent, à moins qu'il n'absorbe une soupe ou autres mets à base de chair de serpent » (p. 303). Il note que ce motif « est très répandu dans le folklore mondial ».

On peut considérer que la capture de la reine des serpents par le vizir du roi lépreux conserve le souvenir du combat au cours duquel le héros vient à bout du dragon dont il dévore la chair. Il n'en reste pas moins que la relation qui unit Hâsïb et la reine est une relation quasi amoureuse. C'est bien d'une créature de l'au-delà bienfaitrice, protectrice et initiatrice qu'il s'agit. N'oublions pas que le bouillon obtenu par la cuisson de son corps est à la fois mortel et revivifiant. C'est elle qui en

attribue la portion bénéfique à Hâsib. Son morcellement initiatique est suivi de la résurrection du jeune homme devenu maître du savoir.

Propp a consacré une analyse très fine à l'aspect extérieur du dragon (p. 324). II a relevé qu'un processus d'anthropomorphi­sation avait permis l'apparition de dieux à tête de loup, comme Anubis, ou à tête de faucon, comme Horus. Avec la reine des serpents, nous avons affaire à une créature hybride, puisqu'elle a un visage humain et qu'elle parle. Ces traits sont attestés par les représentations populaires turques de Shahmeran : il s'agit tout à fait d'un dragon à visage d'homme.

Propp rappelle que « pendant l'initiation on racontait quel­que chose aux jeunes gens » (p. 472), avant de tirer cette conclusion : « L'identité de composition entre le mythe et les contes, avec le même enchaînement d'événements se rapportant à l'initiation, conduit à penser que ce que l'on racontait, c'étaient les événements advenant au jeune homme, mais qu'on les racontait par un ancêtre, un fondateur de tribu et de coutumes [... J. Les récits avaient pour but de l'identifier à celui à propos de qui on les racontait. Ces récits faisaient partie intégrante du culte et étaient tenus secrets » (pp. 472-473). « Ainsi, le récit fait partie tlu,-rituel », conclut Propp qui utilise un travail de Dorsey.

Sans exprimer de jugement sur la thèse qui sous-tend l'analyse de Propp, il est possible de relever un fait particuliè­rement frappant : après avoir pénétré au sein de la terre et rencontré la reine des serpents, Hâsib écoute le récit de Bulûqiyyâ qui est un périple dans l'au-delà, puis celui de Djânshâh qui est une quête d'amour en pays étrange. Il est possible de considérer que ces récits s'intègrent au rituel d'initiation qui va conduire Hâsib au savoir, chacun d'eux pouvant être tenu pour un voyage ou une étape d'un voyage extatique, une suite d'épreuves initiatiques subies par le postulant. Si le regard de Hâsib pénètre les cieux et les terres, c'est qu'il a écouté les récits initiateurs mis dans la bouche de Bulûqïyyâ et celle de Djânshâh. Hâsib ressuscite autre qu'il n'était, initié aux savoirs fondamentaux du chamanisme, et notamment à l'astrologie, à la médecine et à l'alchimie. II sait aussi comment entrer en contact avec les êtres surnaturels, ce qui est caractéristique de l'activité du chaman.

Les travaux de Mircea Eliade nous ont permis â leur tour de préciser certains points et de procéder à des rapprochements qui pourraient servir utilement aux mythologues.

M. Eliade a noté que 1e combat d'un dieu contre un monstre ophidien constituait un thème fort répandu. Aux côtés du mythe indien d'Indra, « le plus important mythe du Rig Veda », prennent place les récits égyptien, sumérien, hittite, ! iranien '.

Peut-on considérer que le couple Hâsib-Yamlikha redonne le combat livré par Indra à Vrtra, par Rê à Apophis, par Ninurta à Asag, par le dieu hittite de l'orage à Illuyankash, par Thraêtaona à Azhïdahâka ? Nous aurions en Hâsib le souvenir très lointain et considérablement dégradé d'un dieu démiurge, détenteur d'une énergie cosmique et biologique, qui aurait mené le combat contre le serpent dans un geste cosmogonique? Le meurtre de Yamlîkha nous conte-t-il de nouveau comment le ciel fut séparé de la terre?

° La reine des serpents fait explicitement allusion à l'herbe 'magique dont le suc donne l'immortalité. Pourrait-on penser ici au soma, le breuvage indo-iranien dont nous parle M. Eliade, à propos d'un « mythe d'origine, la création de la boisson immortalisante », par le sacrifice d'un Être primordial ? Ce premier meurtre, accompli par les dieux, est indéfiniment répété dans le pressurage de la plante soma (t. I, p. 223). Rappelons que c'est après avoir bu le soma qu'Indra terrasse le serpent, lui fend la tête et libère les eaux. Ne nous arrêtons pas â l'apparente contradiction qu'offre le texte. Si Yamlîkha connaît le secret de l'herbe d'immortalité, elle ne peut servir elle-même à la préparation du breuvage. Il ne s'agit ici que d'une perturbation superficielle et qui ne semble pas pouvoir interdire la question essentielle : le sacrifice de la reine sert-il à préparer la boisson immortalisante dont parle Eliade? De la même façon que Hâsib serait un très lointain avatar d'un dieu vainqueur du dragon, Yamlîkha serait celui d'un être primor­dial dont le sacrifice permet la préparation de la boisson sacrée.

Si l'on examine de près le « nouvel état » de Hâsib, après qu'il a bu le breuvage, on retrouve l'essentiel des qualités conférées par le soma, « L'expérience extatique révèle en même temps la plénitude vitale, le sens d'une liberté sans limites, la possession de forces physiques ou spirituelles à peine soupçon­nées. D'où le sentiment de la communauté avec les dieux, voire de l'appartenance au monde divin, la certitude de la non-mort, c'est-à-dire, en premier lieu, d'une vie plénière indéfiniment prolongée » (t. I, p. 224).

 


suite

[1] L'Express du 28/03/2002

[2] Cf. Pierre Gallais : La fée à la fontaine (et à l'arbre): un archétype du conte merveilleux et du récit courtois.  Amsterdam, Rodopi, 1992.

Laurence Harf‑Lancner : Les fées au moyen âge. Morgane et Mélusine. La naissance des fées. Paris, Champion, 1984

 

[3] Les Lais de Marie de France, présentés, traduits et annotés par L. Harf- Lancner ( cette traduction est faite d'après l'édition K. Warnke:  Die lais der Marie de France, 3ème édition, Halle, 1925), Paris, Le livre de Poche, 1990, collection Lettres Gothiques. («édition bilingue") 

[4] Monique Santucci écrit à ce propos:" Elle fait songer, mutatis mutandis, aux nombreuses fées qui hantent les lais bretons et qui comblent d'amour et de richesses leur chevalier- ami, à condition qu'il ne prononce pas ouvertement aucune parole qui fasse découvrir leur amour"- Amour, Mariage et Transgression … art .cit., p.165

[5]  in  Bible, littérature et intertextualité in Enseignement, littérature et religion , collection "Histoire des religions - cultures et religions" co-éditée par  Le Centre Régional de Documentation Pédagogique de FRANCHE-COMTE et Desclée de Brouwer, 2000.( p 160- 186)

[6] Bencheikh (J.E), Les Mille et Une Nuits ou la parole prisonnière. Paris, Gallimard,1988 ( p 170-171-172)

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